Partie sans titre 23

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Une chape de plomb s'était abattue sur la villa. Les occupants ronflaient au tempo imposé par le bruyant Pierrot qui, pour rincer la trouille qui lui engluait le cerveau, avait quelque peu forcé sur la fine Napoléon en guise de dégraissant.

L'aube était déjà bien installée, mais allez donc réaliser au premier signe d'alerte que l'heure légale n'a pas sonnée.

En fait, le déclanchement de l'alerte se manifesta sous forme d'un importun diptère en quête de sournoise succion. Le genre d'effleurement ténu comme le passage d'un ange qui vous fait ouvrir les yeux en de charmantes dispositions mais qui, en une fraction de seconde, électrise la paranoïa comme un stylet planté dans une fesse grasse.

Kiki jaillit hors du lit l'esprit avant même d'avoir réalisé la nature de la menace qui lui avait flanqué tous les poils du corps au garde-à-vous. Le temps de battre trois fois des yeux, il avait identifié le vrai danger sous forme de reflets orangés et de reflets bleus qui défilaient sur la tapisserie. Il approcha de la fenêtre avec des précautions de Sioux sur le sentier de la guerre et ressentit une méchante contraction du bas ventre. Pierrot partageait sa chambre. Il se rua sur lui pour le secouer comme un prunier. Un gros prunier quand même. Pour juguler le flot abrutissant des ronflements, il fût pratiquement contraint de piétiner le rouquin.

- Pierrot !... Pierrot !... La cavalerie est là !... Lève-toi !... Vite !... Vite !

Pierrot obtempéra en chancelant. Le temps d'arriver à la fenêtre, son slip kangourou se transforma en éponge dégoulinante tandis que le frisé naturel de sa chevelure se muait en serpillière mouillée.

- Faut réveiller les autres !... Faut pas qu'ils nous tirent dessus ! Bafouilla le brave Pierrot, pétochant de trouille à la perspective d'une hécatombe.

Kiki décanilla à la vitesse d'un pet fusant sur une toile cirée. Métaphore scatologique justifiée par la traînée odorante qu'il laissait dans son sillage. Secoué sans ménagement, Djé faillit traverser le plafond. Un coup de genou surgi au travers de la couverture explosa le nez du Manouche qui s'en retrouva les fesses sur le parquet, adossé à la garde-robe. Il se porta les mains à ses narines submergées par un flot de sang.

Debout sur le lit, prêt à un combat au finish, Djé put se passer d'explication pour assimiler le tragique de la situation. Les éclairs bleus et orangés qui couraient sur le plafond étaient suffisamment explicites. Il fonça à la fenêtre pour en écarter délicatement le rideau.

- Putain ! C'est souvent que les flics prévoient les pompiers et une ambulance avant une arrestation ?

- Quoi ? Meugla Kiki en se relevant, les mains pressées sur le pif.

Le Manouche avança prudent, suivi par un Pierrot qui progressait à pas comptés, les guiboles en parenthèses et le slip empesé.

Aussi aberrant que la chose leur parut, l'ensemble hétéroclite d'intervenants se trouvait en totalité stationnée dans l'allée des voisins ou devant leur villa. L'apparition d'une civière sur roulettes leur permit de renouer avec une respiration plus calme. Monsieur Jureliez-Derenoucourt, en chemisette hawaïenne, se laissait pousser par un pompier dans le sillage du brancard, l'air hébété.

- C'est la vieille. Elle a dû avaler son dentier ou sa carte vermeille, hasarda Kiki, l'irrespect naturel stimulé par un gigantesque sentiment de soulagement. Le pépé a pas l'air en meilleur état.

- Che s'ro pas à cause de ch'lapin, des fos ? Hasarda Pierrot. (Ca ne serait pas à cause du lapin, des fois ?)

- Putain ! Le lapin ! J'y pensais même plus soupira Kiki en se frappant le front du plat de la main.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 08, 2017 ⏰

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