Partie sans titre 22

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Vu du haut de la cabine du camion, à l'horizon, le dépôt dont on n'apercevait que le toit ressemblait à un méga bunker du mur de l'Atlantique avec son avant-poste, ses barbelés « Gilette », son no man s'land hérissé de réverbères. De près la sécurité devait être pire encore, pensa Pierrot. Mais pour nos Branques, il était hors de question de prendre l'entreprise d'assaut. Trop de risques en l'absence de chars d'assaut et d'un appui aérien.

Fondé sur la routine des gens trop surs d'eux, et surtout sur les indications précises fournies par le Pape, la stratégie adoptée pour l'attaque s'était arrêtée sur le rond point situé à l'entrée du hameau le plus proche. Là où débouchait le chemin privé de la société de transports de fonds, propriété du Pacha par hommes de paille interposés. Le vieux forban en était arrivé à cette création par le biais d'une question simple ; « Pourquoi prendre des risque d'attaquer à l'arme lourde des fourgons dont on ne connait pas le contenu, alors qu'il est si simple d'en posséder les clefs et de définir le parcours lors d'une énorme cagnotte ? ». Ses protecteurs de la DEA pour lesquels il assurait le rôle de meilleur indic régional s'était porté caution auprès des autorités belges. Le Pacha avait patiemment attendu l'heure d'une embellie et celle-ci venait de sonner.

Le vingt-cinq tonnes immobilisé près d'une entrée de ferme, Désiré feignait étudier une carte routière étalée sur le volant du camion, un talkie-walkie grésillant à porté de main. Tout comme Pierrot, garé sur une autre route convergeant vers le rond-point. A ce détail près que le rouquin avait garé son engin en bordure du bois. Dans son rétroviseur il pouvait croiser le regard rassurant d'un Djelloul installé au volant d'un break Saab turbo amputé de sa banquette arrière, la valisette posée sur le siège passager. De l'autre côté du rond-point, il distinguait parfaitement la silhouette de Kiki abrité derrière une antique cabane de cantonnier, la main posée sur la selle de son vélo.

La tête du conducteur et celle du convoyeur n'auraient pas dépareillé un fichier anthropométrique pégriot. Surtout le second dont il ne subsistait du nez qu'une petite boule chapeautant la lèvre supérieure et la zébrure bleue des veines sous la peau diaphane ramenée au même niveau que les pommettes.

Les deux agents de sécurité examinèrent avec un ensemble parfait l'ivrogne qui s'amenait à leur gauche. Le cycliste défiait les lois de la pesanteur. Zigzaguant aux limites extrêmes de l'équilibre, le poivrot se dirigeait à contre sens de la circulation. Un spectacle d'autant plus captivant que de l'angle du bois, sur leur droite, surgissait le capot monstrueux d'un Mag. A vue de nez, le poids lourd devrait se retrouver en même temps que le cycliste dans le rond-point. Si ce dernier ne s'était pas étalé avant.

- Fais gaffe de pas lui couper la route. On sait jamais, nasilla monsieur « Nez arasé » à vingt mètres de l'obstacle.

- Hun ! Répondit le chauffeur en surveillant la trajectoire du camion sourcils froncés.

Touchera ? Touchera pas ? Le spectacle de la rue sait se montrer aussi passionnant que celui des corridas, parfois.

Patatras ! Le cycliste s'affala bel et bien dans le rond-point. Sa cabriole à peine croyable projeta son vélo dans les airs en direction du fourgon blindé. Le chauffeur du camion tirelire donna un léger coup de volant vers la droite et freina pour ne pas écrabouiller la bicyclette. Son engin empiéta sur le bas-côté. Il souleva un nuage de poussière.

Penchés pour assister au laminage de l'infortuné ivrogne par le poids lourd, le convoyeur et le chauffeur rentrèrent instinctivement la tête dans les épaules lorsqu'ils virent le Mag foncer vers eux pour éviter l'ivrogne. Le poids lourd empruntait à son tour le rond-point à contre sens. A l'arrière, le troisième convoyeur se trouvait loin des soucis de ses collègues. Les violentes secousses du fourgon l'avaient fait basculer cul par-dessus tête pour se retrouver coincé dans l'angle de la cellule d'acier, en position de prière musulmane, le nez collé dans la revue frivole qu'il feuilletait.

Les Ch'tis braqueursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant