Étendu sur le lit du haut, la nuque au chaud sur ses pognes superposées, Kiki laissait son regard vagabonder sur le plafond de la cellule. Un ensemble vouté de briques, comme les murs, aux aspérités atténuées par de multiples couches de chaux laquées de peinture. Çà et là des vestiges de graffitis subsistaient. Des noms, des dates, des traits verticaux rayés en diagonales par groupes de sept ou de douze, des imprécations adressées à une justice toujours honnie. Témoignages lugubres. Quand le bruit d'une clef introduite dans la serrure atomisa le silence de la pièce, c'est pourtant avec enthousiasme que Kiki se rua au bas du paddock.

- Alors ? Demanda-il au Pape.

- Alors rien ! Le juge d'instruction est jeune. Il a les pétoches de faire une boulette qui pourrait entraver son plan de carrière. Il joint la forme au fond sur recommandation de la cour de « Casse ». On n'a plus qu'à attendre le procès, lança le maître braqueur avec philosophie.

- Ah ! Les tantes ! S'écria Kiki.

- Pourquoi les « tantes » ? Certains lascars entrent dans la magistrature au nom de la justice, en y croyant vraiment, d'autres pour y faire une carrière de planqués. J'ai pas eu de chance à la loterie sur ce coup là, c'est tout ! Lâcha le Pape avec sérénité.

Kiki approuva d'un signe de tête peu convaincu, puis il regarda le Pape inspecter d'un air méfiant le contenu de deux gamelles métalliques restées sur la table. Le repas refroidi dû lui convenir car il déballa une plaque chauffante et la rallonge permettant d'aller chercher le courant sur la douille installée sous l'ampoule du plafond. Trois ustensiles rigoureusement interdits par le règlement d'époque.

- C'est bien d'être équipé ! Plaisanta Kiki sur un ton admiratif.

- A quoi ça servirait d'enfreindre les lois dehors s'il fallait les respecter là où on trouve le plus de hors-la-loi au mètre carré, dis-moi ?... En plus, Jean aura une plaque toute chaude dès qu'il arrivera du vestiaire.

*

Les jours creux succédant aux jours vides, la vie des détenus se trouve régulée par le rythme des promenades, des parloirs, des douches. Les extractions pour le Palais de Justice constituent les temps forts de cette existence végétative, des dates repaires, en quelque sorte. D'autres évènements marquants possèdent aussi le pouvoir de bousculer cette monotonie.

Moins marrants pour ceux qui les symbolisent. Comme l'arrivée d'un ami, par exemple. Qui plus est, s'il s'agit d'une autre vedette du banditisme. Ce qui fut le cas pour Maxime.

Maxime était un garçon de haute taille, au look de jeune premier. La presse à sensation avait visé juste en le sacrant « Delon des provinces ». Sa beauté, son élégance de playboy, son aisance dans la dialectique indisposèrent d'emblée Kiki qui se sentit infériorisé, ravalé au rang de plante verte. Un sentiment curieux qu'il n'avait jamais éprouvé en présence du Pape beaucoup moins suffisant, moins condescendant envers les malfrats de peu d'envergure.

Évidemment, quand un braqueur de renom a le privilège de pouvoir venir partager le déjeuner d'autres braqueurs célèbres, la conversation a peu de chances de s'éloigner du braquage. Un sujet de discussion propre à fasciner Kiki. L'air distant fleurant le faux-cul à plein nez, il s'imprégnait des propos des deux bandits en se gardant bien de poser la moindre question. L'arrivant n'était pas dupe, mais le maintien de Kiki dans la cellule du Pape et de Jean pouvait être considéré comme un blanc sein en acier de la meilleure coulée. Difficile aussi de l'envoyer « faire un tour ». La cohabitation carcérale plus que toute autre est faite de compromis faute de pouvoir esquiver. Le fait que Maxime puisse passer de l'aile « A » à l'aile « B », de l'heure du travail des détenus jusqu'à la relève de l'après-midi, afin de partager la matinée et le repas du Pape attestait de la considération dont jouissaient les deux hommes, même au sein de l'administration pénitentiaire.

Les Ch'tis braqueursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant