Partie sans titre 9

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Quartier du Moulin des Loups à Saint Amand Les Eaux, le style des maisons offre peu de variété. Sur toute la longueur de certaines rues, il est même rigoureusement uniforme. Tel est le cas de celle proche de la place sur laquelle se trouvait garé le 4x4 de Pierrot.

Dans la demeure proprette, au milieu du mobilier modeste, un élément de décoration incongru détonnait dans le décor : l'impressionnant monceau de bijoux dressé en terril sur la table de la salle à manger qu'avoisinaient un confortable tas de billets de banques et quelques bouteilles vides. Un verre à la main, sur des chaises pour Kiki et Djé, côte à côte sur le canapé pour Pierrot et Désiré, les quatre complices contemplaient avec incrédulité le fruit de leur forfait. Seul un léger tintement troublait le silence de la pièce ; le bruit des glaçons qui s'entrechoquaiennt dans le verre de Pierrot.

- Ben voilà ! soupira Djé. On l'a fait. On a réussi. Le plus dur, ça va être de fourguer toute cette camelote. Ca ne va être coton !

- Rassure-toi ! On va pas les mettre « au Clou », le railla Désiré.

- Au Clou ? S'exclama Kiki. Et pourquoi pas les vendre à la criée tant qu'on y est, au coin d'une rue et dans un parapluie retourné?

- Ben voilà ! Ché sous sont pas partagés qu'on s'ingueule déjà ! Se lamenta Pierrot d'un ton désabusé. (Le partage n'est pas fait qu'on s'engueule déjà).

Les trois autres le contemplèrent, gênés par la pertinence de la réflexion. Désiré posa sur l'avant-bras de Pierrot une main apaisante.

- On disait çà pour rigoler, Pierrot. Histoire de décompresser...

- N'empêche ! T'es bin l'seul à n'avoir pas dit de connerie ! Après tout, ché ces préteurs sur gaches, ché bin là qu'on a l'moins d'risques de s'faire dénoncer ! Ché tous d'zarnaqueux ! ( N'empêche ! Tu es bien le seul à n'avoir pas dit de conneries. Après tout, ces préteurs sur gages, c'est bien auprès d'eux qu'on a le moins de risques de se faire dénoncer. Ce sont tous des arnaqueurs !)

Nouvel échange visuel déconcerté. S'il était vrai que les théories du Pape appliquées à la lettre s'étaient avérées d'une efficacité imparable, force leur était de constater qu'ils avaient occulté la revente des bijoux. Un détail pour les habitués du fric-frac, un Himalaya verglacé à affronter pour les néophytes de la cambriole. Kiki s'insulta mentalement pour cette étourderie. Mais le Pape aurait-il accepté de lui donner l'adresse d'un fourgue ?

- Mais pour chà, acheva Pierrot sur sa lancée. Vaudro mieux eine femme pour s'occuper d'la r'vente ! Nous, avec trois bague et un collier, ché un billet de r'tour assuré pour ch'prison éd'Douai (Mais pour cela, il vaudrait mieux une femme pour s'occuper de la revente. Avec trois bagues et un collier, c'est un billet de retour assuré pour la prison de Douai).

Pierrot stratège ? Sur le coup ses complices en restèrent comme des ronds de flanc !

Le choc de la surprise amorti, puis les alternatives farfelues rapidement passées à la trappe, tous les regards convergèrent vers la cuisine. Baladeur sur les oreilles, les hanches en amphore étroitement moulées par un jeans, un dos féminin des plus aguichants se balançait devant l'évier au gré d'une mélopée inaudible pour les spectateurs. Désiré réunit ses doigts en cercle et lança un coup de sifflet.

L'adorable minois d'une Antillaise leur fit face par-dessus l'épaule, illuminé par un sourire rayonnant et un regard chaleureux. Sa courte chevelure brune aux mèches hirsutes donnait à la belle un air d'oisillon au nid. Une beauté pétillante de fraîcheur.

Les Ch'tis braqueursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant