Chapitre 4

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Musique : OK Go- Obsession


Quand j'entre dans la chambre de Solange qui est provisoirement la mienne, j'ai à peine le temps de jeter mes affaires sur le lit que les vibrations de mon téléphone sollicitent mon attention.

De Maman :
Je rentre demain soir, tard, alors ne m'attends pas pour manger. Je suis allée voir une amie à l'hôpital.

Un bref sentiment de frustration me gagne, je soupire, cherche mon paquet de clopes et sors sur le balcon. C'est sûrement le meilleur avantage qu'il y ait dans la chambre de Solange. Je tire longuement sur ma cigarette et contemple la rue, avant que mes pensées ne se fixent sur Owen. Je repense à son attitude depuis notre première rencontre, à cette fin d'après-midi inattendue que j'ai passée en sa compagnie et à ses traits si beaux qui font de lui un être détestable. Je ne comprends pas pourquoi il gâche ce potentiel en jouant à ce jeu ridicule et après plusieurs minutes que je passe à imaginer le déroulement de l'année dans des situations absurdes comme très réalistes, je finis par retourner dans la chambre pour contacter Manon. Je démarre un appel sur skype quand je remarque qu'elle est connectée, en moins d'une minute, son visage apparaît sur l'écran.

— Octobre ! S'exclame-t-elle aussitôt, les yeux brillants.

— Oh, Manon tu me manques bordel ! J'exagère avec une moue pleurnicharde avant de sourire.

— T'imagines même pas, c'est plus la même là je le réalise...

Elle s'interrompt, réajuste l'écran de son ordinateur de manière à ce que son visage soit en face de la caméra, puis tire une grimace qui m'arrache un rire.

— Bon, raconte-moi, c'est cool au moins là-bas ? Parce que si tu m'as abandonnée pour en plus te plaindre par la suite, je te tue.

Silence. J'esquisse un sourire comme une enfant prise en flagrant délit.

— Qu'est-ce qui se passe ? Les mecs ne sont pas aussi beaux que dans les films américains ? Glousse-t-elle en attachant ses cheveux roses pâles en queue de cheval.

— Si, c'est même carrément flippant. Mais ce qu'ils te montrent pas dans les films, c'est que ce ne sont pas tous des princes charmants qui ramassent tes livres quand tu les fais malencontreusement tomber par terre au milieu d'un couloir.

— Et ils sont plus quel genre alors ?

Je me gratte le menton, fais mine de réfléchir.

— Mmh, je dirais que ce serait plus le style à en profiter, et à coucher avec une fille pour gagner un jeu.

Il semble qu'avec cette phrase, j'ai complètement perdu Manon qui ne voit visiblement pas où je veux en venir. J'envisage d'argumenter en la voyant intriguée avec ses grands yeux ronds.

— Bon, disons que dans le lycée où je viens d'atterrir, des gars organisent un jeu de la virginité où ils doivent coucher avec un certain nombre de filles avant la fin de l'année.

Deuxième silence, durant lequel Manon lève les sourcils puis rit aux éclats.

— Non, mais tu déconnes ?

— Non, je te jure !

Je ris à mon tour. Dit comme ça, la chose est plutôt risible, je comprends pourquoi Solange parvient à en rire malgré tout. C'est foutrement ridicule. Une bande de débiles en rut qui ne pensent qu'à baiser. Comment faire plus dégradant ?

— Mais ça fonctionne comment ce truc ? C'est un jeu, genre un pari entre potes ?

Le sujet l'intéresse. Ça ne m'étonne pas, Manon et les histoires un peu frivoles, ça ne fait qu'un.

— Je sais pas trop, j'ai les idées en vrac à ce sujet ! D'après ce qu'on m'en a dit, quatre mecs organisent un jeu où ils choisissent deux filles et font une course pour coucher avec elles le plus rapidement. Après j'ai même appris que Solange y avait participé, ma sœur tu te rends compte ?!

— Attends, quoi ?! Comment ça se fait ? C'est consenti au moins ?! Et ta sœur, elle est pas branchée nana à la base ?!

— Si ! C'est justement pour cette raison qu'elle est devenue à titre officiel la «légende» du lycée ! Car vois-tu, Solange est la seule à ne pas s'être donnée ! Mais le pire dans tout ça, c'est de voir à quel point les gens se font à cette idée, comme si c'était normal de laisser faire une bande d'abrutis pareils !

Je pousse un soupir, Manon m'apaise en disant une connerie, mais elle revient rapidement sur le sujet après s'être allumée une cigarette.

— Et tu sais ce que tu vas faire avec ce jeu ? Si t'es pas consentante ils vont quand même pas te séquestrer non ?

— Bah, à dire vrai, je me demande si je préférerais pas. Leur méthode c'est plutôt le genre à te mettre un collier autour du cou comme si t'étais une chienne.

— C'est vrai qu'il y a un petit côté malsain, mais peut-être que c'est cool... Enfin, si ce jeu existe c'est qu'en théorie il marche, j'en sais rien, mais si ces gars sont vraiment à tomber, il y a certaines filles qui se plaindraient pas.

Son point de vue me fait voir rouge. Je ne sais pas si elle réalise l'absurdité de ses propos et la réalité de ce jeu, elle qui est en France, loin, bien loin de tout ce qui se passe aujourd'hui dans ma vie.

— J'ai l'impression que tu ne comprends pas Manon. Je tente de poser ma voix et d'aplanir au mieux mes pensées. C'est du viol. Du viol d'intimité, de vie privée, et le rendre officiel en annonçant que oui, il s'agit d'un jeu, rend la chose encore plus horrible ! Tu veux raconter ça comment après ? Ma voix monte dans les aigus. Je fais de grands gestes et prends un air théâtral. Salut, j'ai perdu ma virginité avec un connard qui voulait me baiser pour remporter la victoire d'un stupide jeu, hou la la, c'était le plus beau jour de ma vie !

Manon me lance un regard mauvais. Si je n'étais pas à des kilomètres d'elle, je suis sûre qu'on s'engueulerait sur le sujet. Car nos débats sont souvent animés. Pourtant, elle s'éclaircit la gorge et continue d'une voix calme.

— Ok, je suis d'accord avec toi sur ce point, mais s'ils font ça, c'est que comme je dis, quoi qu'il arrive, leur jeu fonctionne et des filles sont assez naïves pour leur céder. Peut-être que ce n'est pas si terrible, t'en sais rien. Solange elle l'a vécu comment ?

Manon tire longuement sur sa clope et hausse un sourcil. Je repense à ma conversation avec Solange dans les toilettes du lycée et m'abstiens finalement de lui en faire part. Ça lui donnerait plus aisément raison, alors je me contente de répondre brièvement, lasse d'alimenter ce sujet et croise les bras sur ma poitrine avec une mine renfrognée. J'ai tellement de choses à dire sur ce jeu, mais les mots ne viennent pas. Et puis, quand je regarde Manon, j'ai envie de parler d'autres choses, de me changer les idées. Elle finit sa cigarette et comme si nous étions d'accord, elle dérive vers un autre sujet. Elle me raconte sa rentrée, l'ambiance de sa classe et la vie de nos amis communs. Quand nous nous sommes à peu près tout raconté, mon ventre grogne et m'amène à mettre fin à notre échange. Manon me promet d'appeler plus tard, nos adieux s'éternisent, comme d'habitude, puis une fois notre appel fini, je descends dans la cuisine et m'empresse de manger le riz qui reste dans le frigo. Une fois nourrie à ma faim, je regagne au pas de course la chambre de Solange, me prépare pour dormir, puis je me roule en boule sous la couette. Les minutes passent sans que le sommeil ne vienne, alors je reprends mon téléphone et appelle ma sœur.


Virginity Game (Deuxieme Version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant