Une semaine après notre réunion avec les filles, aucune de nous n'a franchi le pas. De mon côté, je n'arrive pas à me tenir en face d'Owen plus d'une minute. Ce qu'il a fait agit sur moi comme un répulsif. Avec du recul, je n'arrive plus à comprendre mes gestes ni même l'attirance que j'ai ressentie pour sa belle gueule de con, d'ailleurs, le voilà qui lance des cailloux par-dessus le balcon. Depuis qu'il s'est débarrassé de Lissa comme si elle ne valait rien, ce qui m'a finalement affecté quand j'ai vu la petite mine qu'elle se trimbalait en début de semaine, Owen n'a pas hésité à revenir se frotter dans mes jupes pour un peu d'attention. Il s'est remis à venir tous les soirs et si je n'ouvre pas, je peux être sûre de trouver après sa venue, un coquillage sur le rebord du balcon.
Au début, je les jetais sans réfléchir, mais les trois dernières fois, je me suis interrogée. Pourquoi persiste-t-il autant ? Avec le mois qui vient de s'écouler, j'ai largement eu le temps de faire sa connaissance pour en venir à la conclusion suivante : une entente amicale avec les joueurs est impossible. Même avec Aaron. J'ai beau lui faire les yeux doux, me montrer sympathique, ce n'est qu'un leurre pour me délecter des grimaces que tire Owen quand il nous voit. Je n'aime aucun de ces types, mais je suis prête à faire croire le contraire si ça peut m'être utile. Jusque-là, les distances que j'ai prises pour observer le jeu m'ont permis de cerner certaines de leurs habitudes. C'est à peine croyable, extérieurement, les joueurs ressemblent à des personnages de fiction qui ne peuvent qu'inlassablement, répéter les mêmes choses pour aboutir à un résultat qu'ils adulent, mais qui n'est pas prêt d'arriver.
Depuis notre meeting dimanche dernier, nos relations se sont relativement renforcées, améliorées, en bref, en peu de temps, avec les filles, nous sommes devenues un mur contre lequel les joueurs butent, se relèvent, et butent à nouveau. Une pierre plus grosse que les autres vient atterrir contre la vitre suffisamment fort pour me sortir de ma cogitation. Je souffle, me lève brusquement du lit avec en tête, la lapidation d'Owen s'il continue de me harceler de cette façon.
— Tu vas arrêter ton bordel enculé ?!
— Je crois que tu te trompes d'enculé.
Je sors sur le balcon, évite littéralement la plage de cailloux qui jonchent le sol et me penche sur le rebord pour admirer mon erreur de jugement en constatant qu'il ne s'agit pas d'Owen, mais de sa sœur.
— Bordel, tu pouvais pas m'envoyer un message ? Je croyais que c'était... quelqu'un d'autre.
— Ouais une personne que t'apprécies bien visiblement !
Estelle s'avance jusqu'à la gouttière qui longe le mur contre lequel Owen a l'habitude de s'appuyer pour monter. Elle observe les points d'appui, pose ses mains dessus, mais choisit finalement de se reculer.
— Bon, si j'essaie de monter, je vais me casser la gueule, alors je te propose de descendre et de venir dormir à la maison.
Dormir chez elle ? Dans la tanière du loup qui me tourmente sans cesse ? Impossible.
— Maintenant ? Au milieu de la nuit ? Ça va pas être possible.
— Pourquoi ? Me dis pas que t'as peur d'Owen ? Je croyais que tu voulais savoir si tu l'avais déjà vu par le passé.
À ces paroles, je sens comme un hameçon se balancer sous mon nez.
— Qu'est-ce que t'insinues par là ? Tu veux que je renie mes principes ?
— C'est possible, j'ai trouvé quelque chose de très intéressant... Seulement je n'arrive plus à me souvenir...Souffle-t-elle en menant une main sous son menton pour faire mine de réfléchir. C'est dingue, ça me revient pas. Peut-être que si tu descendais de ton perchoir, que tu marchais... disons avec moi jusqu'à la maison, et encore, après il faudrait rentrer, chercher et ...
— C'est bon, ça va, j'ai compris.
— Cool ! Ça veut dire que tu viens avec moi ?
— Ça veut dire que je viens oui. Tu m'attends là, je fais vite.
Sur ce, j'entame un demi-tour vers ma chambre, referme la fenêtre et réunis des affaires que je fourre dans un sac avec une rapidité effarante. Quand je retrouve Estelle, elle est sagement assise sous le porche, les yeux rivés sur le ciel.
— J'adore regarder ces milliers de petits points blancs qui scintillent.
Estelle se redresse, me regarde, sourit, puis s'engage vers la rue. À mon plus grand soulagement, elle m'annonce dès nos premiers pas qu'Owen est de sortie, mais celui-ci ne fait pas long feu. Je pensais que les joueurs ne sortaient qu'en notre compagnie, qui nous dit qu'ils ne se permettent pas des libertés supplémentaires avec leur statut ? Estelle s'avère très coopérative quand je l'interroge.
— Où est-ce qu'il est ? Je crois qu'il est chez Nils, avec les gars.
Surprise, je m'arrête au milieu de la route. Une soirée entre les joueurs n'augure rien de bon, s'ils se réunissent, ce n'est pas simplement pour boire quelques bières et se fendre la poire.
— Tu sais pourquoi ?
— Il m'a dit qu'ils avaient une réunion. Tu sais, Owen est mon frère et ses potes ne sont pas que des connards, mais je vais être honnête avec toi, ils n'ont aucune bonne intention à votre sujet.
Ça je le savais déjà, n'empêche, les turbines dans mon cerveau se remettent en marche et massacrent mes neurones à la recherche d'une logique derrière toute cette mascarade. Nils m'a précisé il y a un mois qu'il était de notre côté, il aurait dû me faire part de cette réunion. Elle a forcément un rapport avec nous, s'ils nous la cachent, c'est que quelque chose se trame.
— C'est la tête que tu fais quand tu réfléchis ça ? Parce que sinon faut vraiment que tu te ressaisisses.
— Je me suis un peu égarée dans mes pensées, mais on s'en fout, ça ne va pas être l'intrigue principale de notre soirée. Je peux savoir maintenant pourquoi il fallait à tout prix que je vienne chez toi ?
— J'avais pas envie de passer la soirée toute seule et puis, quand tu m'as demandé si toi et Owen vous vous étiez déjà rencontrés, chose que je ne pensais pas, j'ai fouillé les cartons de notre déménagement hier et j'ai trouvé une photo intéressante...
— Et c'est quoi cette photo ? Il figure dessus ?!
Aussi fou que cela puisse paraître, je n'ai pas le moindre souvenir de lui, pourtant, avec son physique aux avantages délirants, si je l'avais rencontré, je m'en souviendrais. Mais de ce qu'Estelle m'en dit, il semblerait que mon passé me soit en fait inconnu.
— Tu verras bien par toi-même.
Elle sourit, désigne d'une main sa maison, enfin nous sommes arrivées. Estelle ouvre la porte, m'invite d'une révérence surjouée à entrer dans le salon, puis me fait signe de faire comme chez moi pendant qu'elle monte à l'étage chercher sa trouvaille. Je vais dans la cuisine, trépigne intérieurement à l'idée de ce que je pourrais apprendre, qui sait, peut-être qu'Owen ne se souvient pas de moi. Ce serait très drôle que je l'en informe, car si comme je le pressens, je l'ai rencontré cet été-là, ça signifie que je l'ai peut-être connu quand il n'était pas encore enfermé et condamné dans la peau d'un joueur.
— Je l'aaaai ! Ça te dit une petite bière pour accompagner ce moment ? S'exclame Estelle en débarquant dans la cuisine à toute vitesse, le regard vif, les bras chargés d'un album et d'une trousse.
— Carrément ! Et... t'aurais de quoi rouler un joint ?
Estelle rit avec un petit air machiavélique. Elle agite sa trousse devant moi, puis la jette dans ma direction avec l'ordre de rouler un pétard pendant qu'elle s'occupe des bières. Je m'exécute avec plaisir, sors le matériel dont j'ai besoin, tout en coulant quelques regards sur l'album. Est-ce normal que mon cœur s'agite pour si peu ? Dans un sens, je ne m'attends pas à voir des photos très explicites, mais voir une image de ce temps fera peut-être remonter des souvenirs en moi. Retourner mes pensées, fouiller dans ma mémoire, trouver ce que mon inconscient cache, c'est tout ce bazar dans les méandres de mon esprit qui m'angoisse. Estelle fait glisser une bière devant moi, puis me tend son briquet et feuillette l'album. Je me penche par-dessus la table pour observer les photos qui défilent, elles ne sont pas nombreuses.
— C'est celle-là !
Elle retourne l'album dans mon sens, souris et pose son doigt sur la photo tant attendue.
— Alors ? On n'est pas trop mignonnes ? T'avais les cheveux super-courts !
Avec une légère déception, je constate que ce n'est qu'une photo de nous deux. Néanmoins, le brin de nostalgie qui me saisit quand je nous vois à nos quinze ans dans cette même cuisine, en train de fumer, prend le dessus et je ris aux éclats.
— Putain, si c'est pas sacrément ironique quand même ! On se retrouve deux ans plus tard, dans le même endroit, en train de faire à peu près la même chose, à croire qu'on change pas tant que ça !
— Attend, si, quand même, physiquement on s'est pas mal arrangées ! Mais ce qu'il faut relever, c'est que c'est Owen qui a pris la photo.
J'esquisse un maigre sourire, lui passe le joint et observe la photo; il m'est impossible de situer à quel moment de l'été cet instant a été immortalisé. Nous en avons passé tellement à fumer, prendre nos premières cuites, faire des conneries, que celui-ci se perd dans le flou de ma mémoire. Légèrement frustrée de ne pas parvenir à me réapproprier mes souvenirs, je m'empare de la bière et descends quelques gorgées sans penser.
— Commence pas à noyer ton chagrin dans l'alcool, j'ai gardé le meilleur pour la fin, commente Estelle, toujours avec cette malice dans le regard qui me rappelle beaucoup trop son frère et ses airs de confiance inébranlable.
— Comment ça ?
— Il nous reste la chambre d'Owen à fouiller. J'ai fait une légère inspection déjà, mais je me suis dit qu'à deux ce serait plus sympa.
— Qu'est-ce que tu veux qu'on trouve dans sa chambre ? Des posters de nous trois au-dessus de son lit, dans le style «souvenir de mes meilleures vacances d'été» ?
— Non, c'est même pas une option envisageable, cet été était certainement le plus pourri de sa vie avec toute l'année qui va avec.
Son sourire s'étiole, pendant une seconde, je m'imagine lui demander pourquoi, ce qui s'est passé, mais ce sujet a l'air de puer la mélancolie à plein nez, ce n'est vraiment pas le genre d'ambiance qu'il nous faut pour ce soir.
— Ok, alors quand est-ce qu'on commence l'exploration ?
Un bref échange de regards se fait, un sourire similaire voit le jour sur nos lèvres, puis Estelle me tend le buzz et s'empare de son verre en prenant la direction de l'étage, m'intimant de la suivre. Lorsqu'on longe le couloir, je me remémore l'anniversaire d'Owen, finalement, c'est une bonne chose que je n'aie pas trouvé sa chambre ce soir-là. C'est la dernière porte au bout du vestibule, sur la gauche. Estelle m'attend devant, elle abaisse la poignée, presse l'interrupteur et pénètre dans la chambre.
— Je pensais pas que ce serait si bien rangé.
— Crois-moi, c'est pas ce genre de spectacle que je vois tous les jours, mais tant mieux, c'est à notre avantage.
Estelle s'avance dans la pièce, d'instinct elle se baisse au niveau d'une commode et commence à farfouiller dans les tiroirs. Je reste sur le pas de la porte, le joint coincé entre les lèvres, ma bouteille à la main, loin d'être à mon aise.
— Bon tu viens m'aider où tu comptes poncer ce pétard et me laisser faire les recherches toute seule ?
Je soupire, m'approche du bureau, fouille le premier tiroir qui ne contient rien d'intéressant, du moins, rien qui corresponde à nos recherches. Au fil des minutes qui s'écoulent sans qu'on trouve rien, je commence à me détendre, bois quelques gorgées de mon breuvage, tire quelques barres sur le reste du joint qu'on s'échange avec Estelle, et ouvre une pochette rouge qui contient des dessins.
— J'ai trouvé ! S'exclame-t-elle soudain.
Alors que je m'apprête à faire volte-face pour voir ce qu'elle a déniché, mon regard est davantage attiré par les quelques feuilles gribouillées de dessins que j'ai dans la main. Parmi eux, un en particulier happe radicalement mon attention. C'est un portrait. Les traits sont parfaitement nets et la ressemblance avec moi est troublante. Enfin, certaine même, quand je vois l'annotation en bas de la page, «Octobre, 23 juillet 2015». Bordel de merde. Alors qu'Estelle m'interpelle à plusieurs reprises, ma vision se brouille et les souvenirs que je redoutais tant, débarquent par vagues dévastatrices.____________________________________
TUTUTUTUTUTU ! Un chapitre de plus qui, certes, ne concerne pas directement le jeu, mais plus précisément le passé d'Octobre, or il risque d'être plein de surprises ! ;)
Le prochain chapitre arrive demain avec un bon gros flashback de l'été 2015, histoire de comprendre un peu mieux les ambiguïtés actuelles... ^^ J'espère que vous aimerez, que vous appréciez aussi celui-là d'ailleurs, or si c'est le cas n'hésitez point à m'en faire part huhu !
Pleeeein de bisouuus, d'amouuur et de jooooie dans vos coeurs !
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Virginity Game (Deuxieme Version)
Novela JuvenilOctobre ne s'est jamais entendue avec sa mère, alors qu'elle s'installe chez elle pour renouer les liens et faire sa terminale, de douloureux souvenirs refont surface et son entrée au lycée empire les choses. Elle se retrouve mêlée au Virginity Gam...