23 juillet 2015.
La veille, on s'est bien mises à l'envers avec Estelle. Quand ma mère m'a fait la remarque que j'empestais l'herbe à des kilomètres, je l'ai laissée m'engueuler, je suis allée dans ma chambre, j'ai sauté par-dessus le balcon et je suis retournée chez Estelle. Aujourd'hui, elle m'a proposé qu'on aille à la plage pour changer d'air et penser à autre chose. Depuis que je suis arrivée, je n'ai pas arrêté de jongler entre sa chambre, la mienne et quelques coins du quartier. C'est un peu restreint par ici quand on n'a pas de voiture, d'autant que ma mère ne veut pas me donner d'argent pour le bus. Sûrement que la fois où je lui ai volé du fric pour acheter de la beuh avec Estelle, l'a marquée. Heureusement, Solange m'en a donné un peu ce matin.
Alors que je cours dans la rue, les pièces ballottent dans mes poches et rythment ma course jusque chez Estelle. Elle vit seule avec son frère, mais je ne l'ai jamais vraiment rencontré, je crois qu'il s'appelle Owen. Chaque fois que je viens chez elle, il est soit dans sa chambre et n'en sort pas, soit dans le canapé et j'ai alors la chance de voir sa tignasse de dos. Estelle ne m'en dit pas beaucoup à son sujet, de toute évidence, nous ne parlons pas de choses trop personnelles, quand nous sommes ensemble, c'est pour passer du bon temps, pas pour se tracasser avec nos soucis de la veille. Quand j'arrive sous le porche de leur maison, j'ouvre la porte sans frapper. Si habituellement, je trouve Estelle dans la cuisine à fumer des pétards ou dans sa chambre avec le reste de la maison déserte, elle est cette fois en pleine engueulade avec son frère.
— Et alors !? On est tous les deux dans le même bateau, arrête de croire que t'es seul dans ta putain de souffrance !
— Tu me fais chier Estelle, va t'amuser avec ta copine et fous moi la paix.
— C'est toi qui me fais chier ! On fait rien ensemble, comment tu veux t'en sortir avec cette attitude ?!
— Mais qui te dit que je veux m'en sortir !?
Cette fois c'est lui qui crie, je retiens mon souffle, le dos plaqué contre le mur. Si seulement je savais la nature de leur dispute... Un coup vient de partir. Je me risque à jeter un œil dans leur direction, Estelle est fulminante, Owen se touche la joue, assis sur le canapé.
— Arrête de jouer au con, je t'interdis de dire une connerie pareille ok ? Si tu voulais vraiment te laisser couler, t'avais qu'à rester à Cleveland ! Maintenant on est deux, cesse de prétendre le contraire !
Estelle s'élance vers l'escalier les larmes aux yeux. Elle passe devant moi comme une flèche, puis s'interrompt, comme si elle avait senti ma présence.
— Oc-Octobre ?
Son regard est paniqué, le dessous de ses yeux légèrement barbouillé de noir. Je voudrais savoir ce qui se passe, si je savais, j'aurais peut-être les mots qu'il faut, je ne serais pas plantée devant elle, les bras ballants, à attendre qu'elle me rejette étant donné son état.
— Je vais me préparer, tu peux attendre dans le salon si tu veux, je serai pas longue. S'efforce-t-elle de me dire avec le sourire.
Ça me fend le coeur. Je n'aime pas quand les gens font semblant, ma mère le fait bien trop souvent avec moi. Voir Estelle agir ainsi me déchire de l'intérieur. Je n'ai même pas le temps de dire quoi que ce soit qu'elle continue sa course, puis une porte claque une fois qu'elle atteint l'étage. Quand le silence revient, je suis toujours plantée sur le pas de la porte. Le son de la télé me parvient, je m'avance dans le salon, Owen n'a pas bougé d'un poil, toujours scotché au canapé, une manette dans les mains, un joint entre les lèvres, une bière sur la table basse.Même si nos activités ressemblent habituellement à la sienne, cette image me dégoûte. Je ne connais peut-être pas leur histoire, mais je sais qu'Estelle est blessée, qu'une part d'elle souffre toujours derrière le moindre de ses sourires. Je n'ai pas besoin d'être voyante pour comprendre que le lien entre eux, autre que celui du sang, est celui d'une douleur passée et je ne peux supporter de voir son frère ou plutôt l'ombre de lui-même, abattu dans ce canapé, tandis qu'Estelle fait de son mieux pour porter leur fardeau.
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Virginity Game (Deuxieme Version)
Novela JuvenilOctobre ne s'est jamais entendue avec sa mère, alors qu'elle s'installe chez elle pour renouer les liens et faire sa terminale, de douloureux souvenirs refont surface et son entrée au lycée empire les choses. Elle se retrouve mêlée au Virginity Gam...