Chapitre 36

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Musique : Cloves "don't you wait".

Bonne lecture mes ptits loups ! 


Encore allongée sur mon lit, je n'arrête pas de visionner en boucle, la quantité de souvenirs qui me mitraillent l'esprit. C'est comme si d'un coup, après les découvertes chez Estelle, j'avais ouvert les yeux sur mon passé. Je ne sais pas ce qui m'a poussée à laisser tous ces moments derrière moi, à les enfermer à double tour dans un coin de ma mémoire auquel j'avais, jusque-là, banni l'accès, mais maintenant que tout me revient plus ou moins clairement, je me sens complète et à la fois troublée, parce qu'évidemment, je ne peux plus nier la réalité. Celle qui me lie à Owen. Aujourd'hui, je suis certaine qu'il savait tout ça. C'est ce dont il parlait la dernière fois, il a toujours su. Mais si tout ce qu'il a fait jusqu'à présent était censé me permettre de comprendre, pourquoi ne m'en a-t-il pas tout simplement parlé ? Et les baisers qu'on a échangés, sont-ils réels ? Owen a-t-il des sentiments qui me sont destinés ? Liés à ceux qui sont nés par le passé ? Il me faut des réponses. 

En plus des souvenirs qui me reviennent et ne laissent plus de place au doute, Estelle a mis la main sur une boîte remplie de photos, hier, dans ce méli-mélo de souvenirs, une seule appartenait au temps de ce fameux été. Une photo qui remonte au jour où nous sommes allés à la plage, le soir où Owen nous a proposé un apéro. Sur le bout de papier, on nous voit tous les trois, assis dans la cuisine en train de rire aux éclats. J'ai aussi gardé le dessin qu'il avait fait de moi à l'époque, il est à mes côtés, sur le coussin. Je tourne la tête dans sa direction, tellement d'émotions me saisissent que ça en devient indescriptible. Comment trouver un raisonnement adéquat à ce qui me revient tout juste ? J'ai aimé, peu importe la durée ou même la réalité de ce sentiment, j'ai aimé Owen. Pendant une journée, pendant ce temps qui me semblait infini, j'ai laissé mon cœur se remplir d'un sentiment dont je ne savais rien. Et dont je ne sais toujours rien. 

Aujourd'hui, comme une piqûre de rappel, cette sensation vient à nouveau m'étreindre, c'est chaud, apaisant. Spontanément, j'envoie un message à Owen pour lui demander s'il est possible qu'on se voie afin d'éclaircir les choses, cependant, il ne faut pas que je m'occupe de mon passé au détriment du jeu. Il y a certaines perspectives du présent qui me donnent du fil à retordre, comme cette réunion à laquelle Owen était hier. Les vibrations du téléphone me sortent de ma cogitation, je me redresse pour l'atteindre sur la table de chevet.

De Owen :
On peut parler ce soir si tu veux. De toute façon il y a une soirée chez Aaron.

J'ai un haut-le-cœur. Pendant un bref instant, j'avais oublié les termes relationnels qui me lient à Aaron. S'il est dans les parages, entretenir une conversation avec Owen sur le passé ne me semble pas une bonne idée. Mais ça tombe bien puisque ce soir, ma mère veut qu'on aille dîner ensemble chez des amis. Et pas n'importe lesquels. Si je n'ai pas rechigné quand elle m'a annoncé ça, c'est parce que nous allons chez les parents de Nils qui, lui, sera très certainement chez Aaron. Ça me laisse du temps pour réfléchir à un plan d'action. Qui sait, je pourrais peut-être fouiller dans sa chambre pour obtenir des informations sur le jeu. J'explique à Owen avec un pincement au cœur que ce ne sera pas possible ce soir. Tirer au clair ce qui se trame entre les joueurs est prioritaire pour notre survie, mais avant cela, il vaut mieux que je me repose pour être opérationnelle plus tard.


Octobre ? Qu'est-ce que tu fais encore au lit ? T'as bu hier soir ?!

Réveil en douceur accompagné par le ton de crécelle de ma mère.

J'ai pas bu hier je te signale, pis j'ai le droit de faire la sieste.

C'est ça oui, il est plus de dix-huit heures, l'heure de la sieste est largement dépassée.

Elle s'approche du lit, j'ouvre les yeux, le temps est passé vite.

Allez, sors de là !

Elle tire sur la couverture, par réflexe je me replie sur moi, sa façon d'agir a le don de m'irriter très rapidement.

C'est bon, je vais venir ! Tu veux pas non plus m'habiller tant que t'y es ?!

C'est plus fort que moi. Ce ton acerbe, ce regard noir que je lui jette. J'aimerais m'excuser, mais rien ne vient et déjà elle monte sur ses grands chevaux.

Change de ton ! Pour une fois qu'on fait quelque chose ensemble, tu pourrais faire un effort !
  
Ce n'est pas que c'est de trop, mais c'est de trop.

Et la faute à qui ?! À part gueuler tu sais rien faire d'autre !

Lyse souffle, laisse retomber la couverture qu'elle tenait toujours dans sa main.

Prépare-toi, on va y aller.

Son air soudain dépité me fait culpabiliser. Dire que je venais tout juste de me réveiller. Quand elle ferme la porte, je me promets de remédier à cela, d'essayer de moins négliger nos rapports, même si l'espoir qu'on soit proches un jour s'éteint à petit feu. Je me lève, sélectionne une tenue «présentable» selon ses critères pour lui faire plaisir. Peut-être qu'elle cessera de me voir simplement comme une contestataire.

Octobre ! Crie-t-elle depuis le rez-de-chaussée. Dépêche-toi !

Je roule des yeux, inspire un grand coup et hurle à mon tour pour lui dire que j'arrive. Maintenant, je sais de qui je tiens mon impatience. Quand j'arrive dans le salon, maman est devant la porte d'entrée, son sac dans les mains.

Je suis là, c'est bon.

Encore heureux, une minute de plus et tu me rejoignais là-bas.

C'est pas non plus à l'autre bout du monde...

Elle lève les yeux au ciel, c'est si simple de la faire sortir de ses gonds et si compliqué d'entretenir une conversation sans éclats. Dans la voiture, je la surprends à couler un regard dans ma direction.

Tu es très jolie pour une fois, tu vois, ce n'est pas sorcier de se mettre en valeur.

Sa réflexion n'est pas aussi chaleureuse que je l'espérais, mais j'estime que c'est un bon début. Je baisse les yeux sur ma jupe, si elle connaissait les raisons pour lesquelles j'évite de justement me «mettre en valeur», peut-être qu'elle préférerait me voir chaque jour habillée en jogging. Arrivée chez les Wilson, la mère de Nils nous accueille avec amabilité.

Toujours à l'heure vous ! Entrez, entrez... Octobre, tu es si jolie. Me complimente Clara. Tu ressembles à ta mère quand elle avait ton âge.

Je balbutie quelques remerciements, surprise de sa remarque, jusque-là, personne n'a eu l'occasion de me comparer à ma mère.

Oh ne dis pas de bêtise, Octobre tiens beaucoup plus de son père. S'empresse d'ajouter celle-ci avec un ton acerbe qui me retourne l'estomac.

J'envisage de poser des questions, mais elle passe une main dans mon dos et m'entraîne vers la cuisine. Dans la pièce, j'embrasse d'un regard les personnes présentes et c'est à mon tour de perdre le sourire. Sur le coup, voir le père de Nils m'importe peu, ou même son frère que je rencontre tout juste, mais ce qui me fige instantanément, c'est de constater que Nils est ici. Mon plan est considérablement sur le point de chavirer.

Nils ?! Je laisse échapper prise de court.

Tous les visages se tournent vers moi, mal-à-l'aise, je me confonds en excuses.

Je pensais pas provoquer un tel effet chez toi. S'amuse-t-il à me faire remarquer.

Je me ressaisis, esquisse un large sourire. Le moment opportun pour mettre mon plan en action finira par se présenter, ce n'est pas un petit obstacle de rien du tout qui me fera reculer.

Je ne m'attendais pas à ce que tu sois là, c'est tout.

Oui, quand Nils a su que tu venais manger avec ta mère, il a décidé de rester lui aussi, comme ça vous pourrez aller ensemble à votre soirée, c'est gentil non ? M'informe tout de suite Clara qui visiblement n'a pas perdu une miette de notre échange.

De mieux en mieux. Je soupire, rien ne se passe comme prévu.

Parce qu'en plus, tu as une soirée après ?

Ma mère s'ajoute au tableau avec un sourire figé pour masquer sa déroute.

Eh bien, justement, je pensais ne pas y aller vu qu'il y a ce repas...

Ne t'inquiète pas ma chérie, on mange plus tôt pour que Nils y aille, vous y serez tous les deux à temps.

Clara continue de se mêler de ce qui ne la regarde pas, j'ai envie de l'emplâtrer dans un mur. À cause d'elle, je cours potentiellement vers la catastrophe. Pour une fois, je suis ravie d'entendre ma mère s'opposer à une de mes sorties. Puisqu'elle n'était pas au courant, elle prétend ne pas être emballée à l'idée que je parte ce soir, d'autant que je sors trop. Seulement, c'était sans compter l'entêtement de Clara qui, prise de pitié que la «pauvre Octobre» ne puisse pas s'amuser, précise qu'on est jeune et qu'on doit profiter. Avec sa ribambelle d'arguments en carton elle finit par avoir raison de ma mère.

Bon Octobre, tu pourras partir après le repas avec Nils, mais demain tu rentres le matin c'est d'accord ?

Je sens qu'elle fait un effort devant ses amis, son ton est trop doux, ça ne m'échappe pas. Quand je tourne la tête vers Clara, elle me fait un clin d'œil auquel je souris sans grande conviction. Je reporte mon attention sur ma mère avec cette supplication dans le regard qu'elle ne distingue pas.

Merci maman, si tu savais comme je suis contente que tu me laisses sortir.

L'ironie dans ma voix soulève de l'incompréhension dans les regards qui m'entourent, s'ils savaient combien j'ai envie de tous les envoyer chier. Je prends place en face de Nils avec la hâte que ce foutu repas commence et que ce cauchemar se termine. Au début, les échanges sont nombreux et emballés, du moins, entre nos parents. Nils parle un peu avec son frère, de temps en temps il me regarde avec insistance, comme s'il voulait connaître le fond de ma pensée. Le silence que je m'impose me ronge, la colère fait des ravages en moi. Je finis par céder à la tentation.

Il se passe quoi chez Aaron ce soir ?

On fait une petite soirée tranquille, juste entre nous t'inquiète.

Oh je m'inquiète pas. Et hier sinon, qu'est-ce que t'as fait ?

Je souris, surtout ne rien laisser transparaître. Nils prend le temps de mâcher longuement sa bouchée de pommes de terre, il boit un peu d'eau, cette attente est un véritable supplice, surtout pour le mensonge qu'il ose me sortir.

J'ai vu ma copine. Tu sais, je t'ai dit à la rentrée qu'elle était dans un autre lycée. On n'a pas souvent l'occasion de se voir.

Il me sert un sourire en coin, plante son regard dans le mien sans flancher. Quel salaud ! Se servir de sa soi-disant «copine» pour me rouler dans la farine, heureusement qu'Estelle m'a sorti une autre version hier. Je penche la tête sur le côté avec un air de petite fille mignonne qui gobe son charabia et trouve ça choupi tout plein qu'il voit sa petite amie, mais dans ma tête, je l'assaille d'insultes. Je me demande s'il ment souvent. D'un trait je vide mon verre, m'excuse auprès de tous et m'esquive aux toilettes sous le prétexte d'une envie «pressante». Enfin, surtout pressée de démêler le vrai du faux. Je monte à l'étage, trouve la chambre de Nils et m'infiltre dedans. Le temps m'est compté. 

En vitesse, je fouille les premiers tiroirs de son bureau sans faire de grandes découvertes, puis me dirige vers son lit. Au fil des secondes qui passent où tantôt je dérange, puis range, la boule de stress dans mon ventre grossit à l'idée que le temps file plus vite que je ne l'imagine. Au moment où je m'apprête à laisser tomber, résolue qu'avec Nils en bas, cette mission est trop risquée, mon regard se pose sur un tiroir de rangement intégré au dessous du lit. Je l'ouvre précipitamment, croise les doigts pour que ce soit une bonne pioche et manque de hurler de joie quand je vois en plein milieu, exposé tel le saint Graal, un carnet intitulé «Virginity Game». Je m'en empare sans vraiment réfléchir à ce que je vais bien pouvoir en faire, referme le tiroir, puis sors de la chambre.

Octobre ?

Mon sang ne fait qu'un tour. Je regarde Nils planté au milieu du couloir, dissimule le carnet dans mon dos et tente un sourire qui tombe misérablement à plat.

Tu t'es perdue ?

Mon cœur s'emballe dangereusement, je n'ai pas un mensonge en poche et avec ma posture grandement suspecte, il doit se douter d'un truc. Le temps de la confrontation arrive plus tôt que prévu.

Non, mais je crois qu'il va falloir qu'on s'explique toi et moi.

Ma voix est claire, mon ton tranchant, mais si Nils voyait mes mains trembler, il prendrait le dessus illico. Je ne suis plus crédule, son jeu est le même que les autres finalement. Il a des secrets, comme nous tous, et à l'instar d'un prédateur en danger, il est prêt à beaucoup pour se protéger.


Virginity Game (Deuxieme Version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant