Chapitre 30 : canaux

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Féline marchait rapidement à travers les longs couloirs. Elle avait hérité de la base et des contrats de tous les soldats (mais aussi des dettes, de la réputation et du devoir de tous les gérer) depuis la mort de son père. Elle devait trouver à qui confier la base en son absence. Les deux soldats qui les avaient accompagnés lors de la première mission semblaient biens. Elle avait donc demandé à ce qu'on amène tous les soldats dans la grande salle, là où elle se trouverait pour expliquer ses plans à toute l'équipe. Elle avait donc également convié Chasseur et Flamme. Arrivée dans la pièce de rendez-vous, Féline monta sur l'estrade dont se servait son père pour clamer ses discours. Sa voix était si agressive, qu'elle eut l'impression d'être dans son corps.

-Écoutez ! dit-elle. Flamme, Chasseur et moi allons quitter la base. Il est possible que nous en ayons pour plusieurs jours. J'ai donc décidé, après maintes réflexions, de confier la base aux deux soldats qui nous accompagnaient lors de notre première expédition.

Une légère rumeur s'élevait dans la grande salle, seuls ses deux amis restaient attentifs et silencieux.

-S'il vous plaît ! les ramena-t-elle à l'ordre.

Le silence absolu se fit dans la salle.

-Nous nous rendrons dans le désert du Manial, et nous aiderons à la reconstruction du village, à la résurrection de la rivière et cætera. Nous y laisserons ensuite Flamme, avec les ressources nécessaires le temps que le village s'en remette. Ensuite, Chasseur et moi retournerons probablement voir Hitsück, en Amazonie. Nous reviendrons en temps voulu. Vous prendrez soin de la base, ne vous ferez pas mieux traités que les autres, mais prendrez les commandes en cas de besoin imminent. Vous ferez également comme d'habitude, mais ne volerez rien. Rien du tout. C'est compris.

Un énorme « Oui, chef » uniforme résonna dans l'immense salle. Elle fut elle même étonnée de cette coordination.

Quelques minutes plus tard, Chasseur, avec Flamme et Féline dans les bras, quitta la base à pleine vitesse. Le voyage dura, comme d'habitude, plusieurs heures, puis le désert se fit voir, de sa couleur ocre-jaunâtre bien particulière. Après un court moment de repérage, le jeune aigle se posa au milieu du village, sous les acclamations des habitants. Il s'allongea sur le sol sableux, comme à chaque fois qu'il effectuait un long voyage. Les villageois en effervescence se rapprochaient d'eux pour chacun les remercier personnellement.

-Oh, merci, vous nous avez libérés !

-Nous sommes libres grâce à vous !

-Vous êtes les personnes les plus extraordinaires de la terre !

-Je vous remercie infiniment !

Ce flot continu de paroles interloqua Féline. Quand Chasseur se fut relevé, elle lui chuchota :

-On ne m'a jamais rien dit de la sorte. On m'a plutôt dit que j'étais maudite ou que j'étais un malheur pour tout le monde...

-Tu vois, tu es quelqu'un de bien, derrière ton masque, lui répondit-il.

-Jamais on ne m'a félicité de ce que je faisais. Même mon père m'encourageait en me disant que mes techniques n'étaient pas assez au point... Tous les jours je travaillais, je tirais mieux à l'arc que lui... Et il continuait de me dire que mon travail était mauvais...

-Ne t'en fais pas, on ne te traitera pas de la sorte. De toute manière, nous n'avons rien à t'enseigner, enfin, peut-être si tu veux que Flamme t'apprenne la médecine... Mis à part ça, nous n'avons rien à t'apprendre...

-Si, la vrai vie. Celle dans laquelle tu éprouves d'autres sentiments que de la répulsion, de la haine et de la tristesse.

-En quelque sorte...

-Laissez-nous passer, s'il vous plaît, écartez-vous ! Clama Féline.

Tous les villageois, lui obéissant au doigt et à l'œil, s'écartèrent pour laisser plus de place au trio.

-Écoutez, voilà ce que nous allons faire. Premièrement, nous allons refaire passer la rivière dans son lit original. Ensuite, nous allons creuser de petits canaux qui amèneront un peu d'eau un peu partout, sans l'assécher. Ensuite, nous lanceront l'agriculture grâce à des palmiers-dattiers, très rentables et peu gourmands en eau. Ensuite, une fois qu'ils auront poussé, il suffira de planter des plantes en dessous, qui pousseront mieux grâce à l'ombre des palmiers. C'est compris ?

-À peu près, répondit Chasseur.

-Oui, répondit Flamme.

-Oui, répondirent les habitants chacun leur tour.

***

Chacun se mit alors à l'œuvre, sous la direction de la jeune femme. Des villageois, munis de pelles, entaillèrent le sable compact asséché, creusant de grands canaux très espacés, laissant quelques centimètres de marge pour que l'eau ne s'y engouffre pas encore. Les autres taillaient dans le sol de petits embranchements avec tous les petits outils disponibles. Le cœur du village se préparait à battre à nouveau, alimenté par toutes ces petits veines parsemées le long de la rivière.

-Flamme !

La renarde se retourna à l'ouïe de la voix de Féline.

-Oui ? répondit-elle.

-Chasseur et moi, on va aller acheter des graines, et des pousses.

-Tu es sûre que tu ne risques rien ?

-Ne t'en fais pas. On va prendre des pousses et des graines de palmiers-dattiers, puis d'autres graines diverses que vous planterez au choix.

-D'accord. Féline...

-Oui ?

-Je... Je ne sais pas comment je pourrais vous remercier pour... pour tout ce que vous avez fait pour nous...

De petites larmes perlaient au coin de ses yeux, qu'elle essuya d'un revers de manche.

-Ne t'en fais pas, la rassura la chatte, je ne cherche pas la gratitude. Si toi et ton village vivez heureux, ça me suffit.

-Tu es tellement gentille... je ne vois pas pourquoi les gens te détestent...

-Ne t'en fais pas.

La voleuse regarda les villageois travailler vaillamment.

-Supervise les opérations, ordonna-t-elle à la renarde, nous allons partir.

Elle fit demi-tour et rejoignit l'aigle, qui s'apprêtait à voler durant des heures.

Flamme les regarda partir, s'envolant vers le monde si grand, elle restant dans son si petit village. Son si petit village qui allait vivre, désormais. Grâce à eux. Ces héros.


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