Chapitre 24 : jeu de rôle

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Flamme rentra discrètement dans sa petite maison. Elle s'assit quelques instants et souffla comme pour éliminer le stress de son fort intérieur. Le Maître n'avait pas pu la voir rentrer. Elle ressortirait ensuite, accompagnée de Féline, car elle n'aurait peut-être pas le courage d'assumer son rôle, et s'arrangerait pour désobéir au Maître quand la police arriverait. Féline entra, couverte d'un étrange tissus – pas le même qu'avant – qui donnait d'elle l'impression d'avoir toujours vécu ici. Son visage était dans l'ombre du tissus qu'elle portait sur les cheveux, et elle arriva en scrutant le sol, ressemblant à s'y méprendre à une jeune fille timide n'osant regarder le Maître dans les yeux comme n'importe quel habitant de ce médiocre village, corrompu par ce Maître tyrannique. C'est comme si la voleuse fière, prétentieuse et sans craintes avait disparu pour laisser place à cette jeune fille discrète et effacée. Plus le temps passait, plus Flamme se disait que la jeune voleuse aurait eu les compétences pour faire n'importe quel métier. Elle aurait notamment pu être actrice, elle avait, selon ce qu'avait entendu la jeune renarde, joué parfaitement le rôle d'une naïve petite poissonnière pendant des mois. Elle pouvait aussi jouer le rôle de la voleuse sans peur, calme et sûre d'elle, et ce rôle-ci lui seyait également à merveille ; si bien que l'on se demandait si sa véritable personnalité n'était pas toute autre.

-Flamme, il est tant qu'on y aille. Les policiers ne devraient pas tarder, dit Féline d'une voix discrète et convaincante.

-Ou... Oui, tu as raison.

-T'en fais pas, ça va aller.

-Je sais pas si je pourrais le faire...

-Je peux le faire à ta place, si tu veux. Mais on verra bien. Il est temps qu'on y aille.

Sans répondre, Flamme se leva et se dirigea lentement, respirant à pleins poumons vers la sortie de sa petite hutte. Féline la suivit, plus assurée dans sa démarche, mais regardant toujours le sol, son rôle de comédienne en poche.

Une fois dehors, les deux jeunes femmes se rapprochèrent de l'endroit où était allongé, dans un transat, le Maître. À tout moment, il pouvait retourner dans sa « forteresse », parce qu'il avait trop chaud, trop soif, trop faim... Mais il pouvait aussi demander à ses esclaves, on pouvait bien les appeler comme ça, c'est ce qu'ils étaient. Féline et Flamme s'en rapprochèrent alors et commencèrent à travailler, à laver des vêtements, à faire pousser des plantes... Elle continuèrent un moment, jusqu'à ce que les policiers se montrent à l'horizon. Le Maître ne les avait pas vus. Très bien. Elles s'arrêtèrent alors de travailler, et commencèrent à discuter. Le Maître ne pouvait comprendre ce qu'elles disaient mais pouvait entendre le gazouillis de leurs chuchotements et constater qu'elles ne travaillaient plus.

-Hey, vous ! S'écria-t-il. Remettez-vous immédiatement au travail !

-Mais nous sommes bien trop fatiguées, le travail sera mal fait ! Riposta Féline sur un ton innocent que Flamme ne lui connaissait pas.

-Quelle insolence ! Hurla le Maître en se relevant et en s'approchant des deux jeunes femmes. Je vais t'apprendre à respecter les règles et à ne pas répondre à ton Maître !

Flamme jeta un rapide coup d'œil à l'horizon et vit que les policiers pouvaient désormais voir ce qui se passait dans le village.

Féline fit mine d'être apeurée recula un peu, cacha son visage derrière ses larges manches et bafouilla, d'une voix voulue forte et claire malgré l'hésitation voulue :

-Excusez-moi... Vraiment... Excusez-moi... Mon Maître...

-Tu vas servir d'exemple à tout le village ! Rugit-il.

Il la prit par le bras et l'entraîna au milieu du village. Il le brandit bien haut et s'écria bien fort :

-Que cette fille serve d'exemple à tous ! Regardez ce qui arrive aux gens qui désobéissent aux ordres !

Flamme vit les policiers avancer plus vite, courir, même.

Le Maître s'empara d'un bâton et jeta Féline quelques mètres plus loin. Elle tomba par terre et ne se releva pas tout de suite. Le Maître commença alors à la frapper. La jeune femme cria, signe de douleur, intensifié par le jeu de rôle qu'elle menait. Car, assurément, Féline pouvait dissimuler ses peurs et se défendre, ignorant la douleur.

Il commença à la frapper de plus belle, sous les regards horrifiés et terrifiés des autres villageois, lorsqu'une voix forte résonna :

-Les mains en l'air.

Tous les policiers venus, une dizaine de personnes, brandissaient leurs armes vers le Maître. Féline saignait, par endroits, tant le tyran l'avait frappée fort. En pleurs, elle essaya de se relever, montrant la difficulté et aggravant aux yeux des forces de l'ordre sa douleur, sa souffrance, ses blessures. Elle réussit finalement à se relever.

-Monsieur Thomas Spoker, vous êtes en état d'arrestation, pour maltraitance, fraude fiscale et violences aggravées !

Il ne fallut qu'un instant à l'intéressé pour réagir, puis il voulut s'enfuir, mais ne put faire un pas qu'une petite dague sertie de diamants menaçait son cou. Féline, se tenait devant lui et passait son bras en arrière, tout en regardant les policiers, ébahis.

-Mais attendez, madame, qui êtes-vous ? Dit l'un d'eux.

-Quelqu'un qui vient de vous aider, répondit-elle.

-Mais, attendez, vous n'êtes pas une habitante de ce village !

-Non. Je vous ai envoyé une lettre pour vous faire venir, et cette mise en scène, à l'insu de celui qui se fait appeler le Maître, vous a dévoilé sa violence envers ceux qu'il traite comme des esclaves. Demandez aux habitants ! Demandez-leur combien ils tremblent devant lui, d'où viennent leurs nombreux bleus et leur obéissance surprenante ! Voyez vous-même combien ils sont pauvres et combien il est riche ! Vous voyez bien que ce n'était qu'un mensonge pour dévoiler la vérité, et non pour la cacher ou en faire paraître une autre.

-Mais... pourquoi avez-vous fait ça ? Vous êtes tout de même blessée !

-En sympathie avec les habitants, pour une vieille prophétie, et j'ai connu pire comme blessures. Ne vous en faites pas pour moi. Vous avez n'empêche, grâce à moi, découvert le dossier de cet homme.

-Attendez, madame, vous êtes un chat.

-Oui.

-Vous êtes noire.

-Oui, pourquoi, vous êtes raciste ?

-Non. Et en plus, vous avez une agilité et une rapidité surprenante.

-Merci pour le compliment.

-Quelle coïncidence ! Clama le policier sur un ton ironique. Découvrez votre visage et vos cheveux, s'il vous plaît.

-Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Pour l'instant, je vous le rend.

La jeune femme balança celui qui était, quelques minutes avant, le Maître dans les bras d'un policier qui s'empressa de lui menotter les mains.

-Lâchez-moi ! Cria celui-ci. Gardes !

Quelques dizaines de soldats sortirent de la forteresse et se dirigèrent vers les policiers, qui étaient près de trois fois moins et n'étaient pas préparés à cette attaque.

Le Chat NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant