Chapitre 16 : la poète

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-J'ai des questions à te poser, Chat Noir.

Jacques Hamilton venait de rompre le silence.

-Je me demandais... Pourquoi tu voles ?

-Ça te regarde ? Répondit sèchement la voleuse.

-Oui. Je suis policier et je veux juste en savoir plus sur toi. Alors tu vas me répondre, je ne veux pas te tuer, je ne veux pas t'anéantir, je veux juste en savoir plus sur toi. Tu as une identité ?

-Tout le monde a une identité, Hamilton. La mienne n'est juste pas renseignée dans tes fichiers.

-C'est bizarre. Tu es une voleuse réputée, recherchée, et un instant, j'ai l'impression que tu es une simple citoyenne.

-Tu sais, Hamilton, c'est pas parce que je suis une voleuse que je ne suis pas une femme. Je ne suis pas un monstre. C'est pas parce que les gens ne connaissent que ma face cruelle que je n'en ai pas d'autre.

-Oui, tu as raison. Mais jamais un voleur ne m'a parlé sur ce ton posé, serein, sans haine.

-Ce n'est pas parce que je ne la montre pas que je n'ai pas de haine, de peur, de tristesse.

-Donc tu caches tes sentiments ?

-Si mes ennemis croient que j'ai peur, ils s'en sentent rassurés et deviennent plus forts, tentent plus de choses. Si ils pensent que j'ai un plan, que je n'ai absolument pas peur d'eux, alors c'est eux qui auront peur, et c'est eux qui seront déséquilibrés, qui chancelleront avant de tomber.

Jacques écoutait attentivement ces mots. La voleuse aurait pu être poète. Elle avait appris l'art de manier les mots avec précision comme on manie une épée. Il se tourna vers la voleuse et la regarda. C'était la première fois qu'il voyait son visage. Il avait vu des portraits robots, des photos floues, il savait exactement comment elle était, mais il ne connaissait pas son visage. Il la regarda avec une telle intensité que la jeune fille se retourna vers lui. Elle était jeune. Très jeune. Plus jeune que lui, sûrement. Il imaginait la voleuse plus âgée que ça.

-Je ne pensais pas que j'étais si jolie que ça, dit la voleuse d'un ton amusé.

-Je regardais ton visage. Je ne l'ai jamais vu. Dis-moi, Chat Noir, quel âge as-tu ?

-Et toi, Hamilton ?

-Moi, j'ai trente-cinq ans. Alors, dis-moi.

-J'ai vingt ans.

-Vingt ans !!! Mais tu n'as aucune expérience de la vie !

-Ça se voit que tu ne connais pas ma vie. Pourquoi, tu m'imaginais de quel âge ?

-On s'en fiche. Je ne vais pas compatir avec toi, si c'est ce que tu essayes de faire ! Tu es une voleuse et tu mérites ton sort !

-Personne ne mérite la mort.

-Je ne parlais pas de ça... Tu croyais que j'allais te tuer ?

La jeune femme sortit une vieille affiche trempée sur laquelle on pouvait encore lire : Le Chat Noir, 1 000 000 d'euros, mort ou vif.

-Mort ou vif, ça ne signifie pas que les gens ont le droit de me tuer ? C'est bien toi qui dirige les unités de police, Hamilton ?

-Tu es plus intelligente que ce que je pensais...

-On ne peut pas survivre aussi longtemps que je le fais, seul, sans être un minimum intelligent.

-Une autre question me tourmente, Chat Noir...

-Vas-y donc, poses la.

-Où te cachais-tu pendant tout ce temps ?

-Tu ne croies tout de même pas que je vais te dire une chose d'une telle importance ?

Hamilton resta muet. Comment avait-il pu croire que la voleuse allait coopérer ?

-Mais... Tu allais dans un endroit où il n'y avait personne ? Tu te déguisais ? Comment faisais-tu pour être invisible ?

-Et bien... où habites-tu, Hamilton ?

-C'est quoi cette question ? Je te rappelle que c'est moi le policier, c'est moi qui pose les questions.

-À toi de voir...

Hamilton, énervé, finit par expirer et dit :

-J'habite sur la côte sud de la France.

-Et bien alors il y a de fortes chances que nous nous soyons croisés.

-Non. Impossible. Je t'aurais reconnue.

-Personne ne m'a reconnu et pourtant, beaucoup de monde m'a regardé dans les yeux.

Pour illustrer ses paroles, elle écarquilla ses yeux d'émeraude tout en les montrant de ses mains noires de jais.

-Mais... On aurait reconnu tes cheveux... Noirs... avec une mèche blanche...

-Sauf si je les cache. J'ai passé un bon bout de temps à vendre du poisson sur le port.

-La Jeune Fille du Port... C'était toi ? Mais comment ais-je pu être aussi idiot ! Tout le monde a vu que tu étais bizarre. Mais personne n'a rien dit ! Si j'avais su... si j'avais su...

-Mais tu ne savais pas, alors arrêtes de te plaindre. C'est sûrement dur pour un policier comme toi qu'un bandit soit aussi fort que moi !

-Et bien au moins, tu n'es pas le comble de la modestie.

-Non, en plus, je n'ai pas l'habitude de me vanter. Admires quand même que j'échappe aux autorités depuis mes douze ans !

-Douze ans ? Mais c'est impossible de se battre à douze ans !

-Pas quand on nous apprend à nous battre depuis qu'on a six ans.

-Six ans ? Mais c'est pas un âge pour se battre !

-Calmes toi, Hamilton. Ce n'est pas la peine de t'énerver. Je te parlerais si tu veux, mais pas en toutes circonstances.

-C'est à dire ?

-Je ne veux pas que tu fasse de mal à Chasseur. Ni à Flamme, d'ailleurs. Et je ne veux pas que quelqu'un d'autre que toi m'entende.

-Chasseur, c'est le monstre qui t'accompagne ?

-Chasseur n'est pas un monstre. Tout le monde en est persuadé à cause de ses métamorphoses, mais il n'est pas un monstre. C'est un terme pour désigner des créatures cruelles, sanguinaires, sans sentiments, que de la haine et de la rancœur. Vous l'utilisez pour tous les gens différents, mais Chasseur ne le mérite pas. Il n'est pas comme ça.

Hamilton acquiesça lentement, assimilant les paroles de la jeune fille, les comprenant, les repassant en boucle dans sa mémoire.

-Si une de ces contraintes ne sont pas respectées, dit-elle, je ne dirais rien de ce que tu veux savoir. Absolument rien.

La jeune fille se retourna vers la fenêtre et n'échangea plus un mot du trajet. Pas plus que Jacques qui se remémorait en boucle ses mots savants. Elle parlait bien tout de même. À défaut d'être voleuse, elle aurait pu être poète.


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