Un rubis au cœur de pierre

10. Synesthésies

Mon verre me glissait entre les doigts alors que l'alcool commençait à étourdir mon esprit. Le liquide brun coulait abondamment dans ma gorge brûlant chaque parcelle de mon corps par laquelle il passait et laissant en moi un sentiment d'apaisement. Le whisky avait ce don d'augmenter l'acuité de mes sens et de permettre à mon âme un voyage vers une autre réalité.

Le fond de mon verre était presque apparent et mon regard vide plongeait à l'intérieur cherchant un sens à ma présence dans ce bar. La dernière goutte venait de quitter le navire, laissant régner la pleine transparence du contenant.

- Mets-moi en un autre Nick, demandais-je au barman en repoussant mon verre sur le bord du comptoir.

Sans un mot, le beau brun aux multiples tatouages et à la barbe mal rasée saisissait la bouteille de Jack entamée et m'en servit le contenu alors que je venais d'écraser ce qui me restait de ma cigarette dans le cendrier posé là.

J'en glissais une nouvelle entre mes lèvres humidifiées par le doux nectar et fis sortir une flamme de mon briquet avant de recracher la fumée en un nuage blanc épais.

Mon regard, plongé dans la source de chaleur orangée avec laquelle je jouais à présent, me fit perdre une fois de plus la perception de la réalité et du monde qui m'entourait.

- La même chose que la demoiselle, me sortit de ma rêverie une voix familière qui passait commande au bar.

Étrangement sa présence ne me fit rien. Aucune peine, aucune haine.

- Sam, lâchais-je le regard toujours fixé sur la flamme.

- Ruby, fit-elle en s'installant à mes côtés au comptoir.

Sans rien dire, elle se servit dans mon paquet qui traînait là avant de me retirer mon jouet pour allumer ce qu'elle venait de me voler. Je souriais intérieurement à la vue de cette femme sans gêne.

- Comment vas ton nez? la questionnais-je en me retournant sur son visage affichant une écorchure au niveau de la narine.

Un rictus amusé se forma sur ses lèvres probablement suite au souvenir de notre altercation passée quelque peu mouvementée.

- Mieux, me répondit-elle en l'effleurant du bout de ses doigts.

Elle marqua une courte pause avant d'ajouter:

- Je pense l'avoir mérité, non?

Je haussais les épaules en signe de réponse. Sam avait un regard apaisé, bien loin de celui qu'elle m'avait montré il y a quelques jours.

- Je trouve même qu'il me donne un certain charme, souriait-elle.

A ma plus grande surprise nous rigolions ensemble de bon cœur face à ces derniers événements. Malgré ce qui avait pu se passer entre nous, je ne ressentais aucune rancoeur et plus aucun dégoût à me retrouver à quelques centimètres à peine d'elle. Et cela ne semblait pas lui déranger non plus.

Les verres qui s'enchaînaient ont sûrement jouer en faveur de cette soudaine entente.

Soit.

Il semblerait que nous soyons quittes. Je l'avais blessé, elle s'était vengé, tout s'arrête là.

Cette situation est tout de même étrange. Limite gênante.

Nous alternions paroles et silence. Nous discutions de tout et de rien en tâchant réciproquement de ne jamais avoir de contact visuel comme pour laisser une distance entre nous.

L'on pouvait cependant ressentir régulièrement une tension qui trahissait les reproches que l'on avait l'une envers l'autre.

Nous avions beau faire comme si de rien était, le ton qu'elle employait reflétait malgré elle une sorte de jalousie et une possessivité troublante à mon égard. Quant à mon attitude, celle-ci montrait clairement le goût amer que sa vengeance a laissé en moi.