Five [Sous Contrat d'édition Hugo Poche. Sortie le 13 Juin 2019]

Evy / Chapitre 3

Je suis rentrée, j'ai laissé tomber le masque.

Mon corps commence à trembler. D'abord en frémissements légers. De petites contractions dans les muscles. Mes doigts se serrent en poing, se desserrent. De façon convulsive.

J'ai froid, mes lèvres me picotent, tremblent sans que je puisse y faire grand-chose. Puis, ça augmente en intensité. J'ai la chair de poule. Mon cœur palpite.

C'est le choc. C'est juste une réaction normale. J'ai appuyé sur la détente.

J'ai fait ce pour quoi j'attends depuis tant d'années.

Ma respiration se fait courte et précipitée. Mon corps m'envoie des signaux pour me dire qu'il lui faut plus d'oxygène. Mais je ne sais pas, je n'arrive pas à me calmer et à prendre de grandes inspirations.

C'est une putain de crise d'angoisse. Après coup, c'est ironique.

Je me tourne et avance dans le salon. Il me faut de l'air. Je me dirige vers la fenêtre et je bloque. Il me regarde, il m'observe.

Depuis combien de temps ?

Quelle surprise ! Nos regards se percutent pareil à un carambolage.

J'arrête de penser. Je ne sais plus où je suis, où j'en suis. Il a changé depuis notre première rencontre. Il avait dit s'appeler Noah. C'est un homme à présent. Un fameux spécimen, même. C'est un mâle, un dominant. Il a une carrure de boxeur, les muscles déliés, marqués mais pas gonflés comme ceux qui prennent des stéroïdes au lieu de faire vraiment du sport.

On dirait qu'il retient en lui toute sa vigueur, qu'il peut exploser à tout moment et libérer cette violence contenue dans son regard d'un seul coup. Il me fait peur, pourtant il subira le sort que je lui réserve. Lui aussi.

Son nom est sur ma liste. Il finira donc comme je l'ai prévu.

Je fais un pas délibéré vers la vitre, je dois l'intéresser. Je dois faire en sorte qu'il veuille me connaître. Et cacher ce que je pense de lui, ce que je lui souhaite.

Du mal. Autant que j'en ai eu.

Il imite mes gestes. Je l'observe et je constate qu'il est nu !

Oh, mon Dieu ! Cet homme est... Son corps est parfait. Une ligne de muscles bien marqués, la peau lisse, des tatouages aux bras et sur les pectoraux.

Je ne peux pas, ne pas le regarder. Il est un modèle de masculinité. Mes yeux ne peuvent que glisser sur lui. Mes doigts aimeraient suivre le même chemin. Mon angoisse est partie, mes hormones ont réussi à changer le rythme de ma respiration.

Mon sang coule plus vite, il me semble plus épais, plus chaud dans mes veines. Il est encore mouillé, il vient probablement de se laver.

Des gouttes d'eau coulent le long de son corps et dessinent des chemins sur le relief de sa peau. Seul un pansement sur le côté droit de ses abdominaux, brise la perfection de cette image. Les muscles saillants, les hanches étroites. Je descends encore, suivant les vestiges de sa douche. Oh... Il est en train de se caresser. Devant moi, en souriant. Il me mate et se masturbe.

Il n'a aucune gêne. Il s'exhibe sans honte. Un sourire aux lèvres. Il sait qu'il me plaît.

Ma température corporelle augmente encore. Il me fixe de son regard vert comme s'il voulait me manger, me dévorer. Je voudrais traverser cette rue pour voir si je pourrais connaître enfin ces sensations.

Les papillons dans mon ventre, la sourde pulsation dans mon bas-ventre prouvent qu'avec lui, je pourrais peut-être avoir ce que je veux. Ce que je n'ai jamais connu. Enfin.

Mais quoi ! Qu'est-ce que je fais là ? Je me secoue et reviens à la réalité. Je ne dois pas oublier mes objectifs.

J'ai un plan et dans celui-ci, il n'y a pas de place pour l'attraction physique. Surtout pas avec lui.

Si je couche avec lui, ça sera comme avec les précédents. Juste du sexe utile. Rien de personnel. Et je n'irais jamais au bout de l'acte. Comme d'habitude. Je ne supporterai pas les caresses, ni aucun attouchement.

Pour couper court à mes fantasmes, je referme le rideau d'un coup sec et j'éteins la lumière. Une douche froide me sera salutaire.

*****

« Anna... Annaaaa... ma si belle... »

Je me réveille en sursaut.

Je suis couverte de transpiration, j'ai chaud et froid en même temps, le cœur fébrile et la respiration hachée.

« Annabellesi belle... », Ce que ce monstre me murmurait à l'oreille.

Sa voix est revenue me hanter. J'avais mis tellement de temps pour me débarrasser de mes cauchemars et voilà qu'ils sont de retour.

Son souffle dans mon cou. Je le sens encore. Ses mains sur moi. Et cette douleur. Et le plaisir de cette brute. Il aimait me faire mal, me torturer.

Je me lève vite.

Je cours à la salle de bains et je vomis ce passé morbide et douloureux. Je laisse remonter tous mes mauvais souvenirs et je me vide de toutes mes souffrances.

Je tremble de faiblesse, à genoux sur le carrelage fendu, le front sur l'émail des toilettes. Le souffle saccadé. Mes cheveux me collent au front et aux joues.

Mes mains tremblent et je suis sûre que si je fais une tentative pour me relever, mes jambes me lâcheront. Je tremble comme une droguée en manque ou faisant un mauvais trip.

Après un bon moment, je suis un peu plus calme. Je me relève et laisse mes vêtements à terre. Une douche chaude finit de me vider la tête de ces images du passé qui pollue mon présent.

Je me lave de ces cris, de ces pleurs et laisse le tout couler par la bonde d'évacuation. Mes larmes se mêlent à l'eau et s'en vont silencieusement. Je me frotte frénétiquement pour effacer les traces invisibles. Je voudrais m'arracher la peau et la remplacer par une nouvelle. Une, vierge de toutes marques, de tous souvenirs.

*****

La journée est dure, ressemblant à toutes celles de la semaine. J'ai sous-estimé le choc émotionnel. Je n'ai pas pensé que je serais si touchée d'avoir abattu ce chien.

Il le méritait pourtant. Pour ce qu'il m'a fait subir, et ce qu'il a manigancé pendant sa misérable vie. Il aurait vendu père et mère pour une dose. Il l'a fait avec moi.

Il m'a enlevée à ma famille, à ma vie paisible d'enfant. Il est venu et a brisé l'idée que le monde est beau. Il a arraché les ailes de mes rêves.

Je me suis retrouvée dans une cave, ligotée. Apeurée. Sans nourriture ni lumière. Tout ça pour sa putain de drogue.

J'ai eu ma revanche.

Le premier nom de ma liste est barré.

Pourtant, je me sens mal. Je pensais que je serais au mieux heureuse de mon geste, au pire indifférente. Au lieu de ça, mes émotions se bousculent, me tirent et me fragilisent. Il faut que je me reprenne. Je dois rester dans la ligne de conduite que j'ai prévue.

Prochaine étape, m'insérer dans la vie de Noah, alias Five. Grâce à lui, m'approcher des autres.

Un à un, je les trouverai et les tuerai.

Jusqu'à ce qu'il ne me reste que Five.

Je veux terminer par lui. Car il m'a blessé plus qu'un autre. Pas dans mon corps, dans mon âme.

Je pensais qu'il me sauverait, qu'il voulait m'aider.

Mais il m'a trahie.

Comme les autres...

Non pire qu'eux.