Evy et Annabelle / Chapitre 28.

2K 158 10
                                    

Elle passe d'une pièce à l'autre, s'extasiant sur les murs défraîchis et la décoration vintage.

-On pourrait y tourner des films d'horreur comme Saw.

Elle désigne l'endroit où elle veut le DJ, la piste de danse, l'endroit du buffet et des boissons. Alcoolisées bien entendu.

Les chambres doivent être nettoyées selon elle. Pour y remettre des lits.

-Tu ne veux pas savoir, me dit-elle quand je lui demande ce qu'elle compte y faire.

Non, c'est certain ! Coucher avec le premier venu à son âge ne me serait jamais venu à l'esprit. Nous continuons la visite. Plus on approche du but, plus la nervosité me gagne.

-Viens, c'est par là. Je vais te montrer. Comme ambiance, là tu auras peur.

J'ouvre la porte et la laisse passer devant. Elle descend l'escalier en bois. J'appuie sur l'interrupteur et la lumière se fait. Je referme derrière moi.

A clef.

Je la cache dans ma poche et la suis en bas.

L'ampoule qui pend est incandescente. Elle éblouit et noie dans sa lumière crue toutes les ombres. La pièce est presque nue. Une table avec du matériel informatique à la pointe. Un lit d'une personne en fer forgé et une couverture en laine qui agresse la peau, même de loin, tant elle à l'air rêche. Et une chaise en métal, imposante au milieu de la pièce.

-Les murs gris et sales ainsi que les fenêtres obturées par mes soins donnent des frissons.

-Waouh ! Pour un film d'horreur, c'est ce qu'il faut !

-Il ne manque plus que Robert Englund.

-Qui ?

-Le premier Freddy Krueger.

Elle ne connaît pas, trop loin pour elle, ce maître des cauchemars.

-Ah ? Le film qui va bientôt sortir au cinéma ?

Elle s'extasie. Moi, je reste figée sur la dernière marche. Les souvenirs se mélangent au présent. Cette pièce est à l'identique de celle où j'ai passé les pires jours de ma vie.

Les images se superposent. J'entends à nouveau les cris, les gémissements et leurs voix.


Ma respiration se fait courte, le froid m'envahit et la terreur me tord le ventre.

-Oh, et cette chaise ! Mieux qu'une électrique.

Sa voix me tire de mes cauchemars. La colère revient, monte, envahi tout mon être et fait fuir les dernières bribes de terreur.

Elle rit. Elle ne pense pas qu'elle pourrait souffrir, elle se croit à l'abri. Mais ce sera bientôt son tour.


Elle criera, pleurera et suppliera. Elle aussi. Je me secoue et la rejoint.

-Et là, avec la webcam, on pourrait faire une mise en scène qui serait retransmise en haut. Un peu comme dans les vieux films, tu sais les Screams.

Elle tourne, va vers le lit, s'assied. Grimace, en touchant la couverture. Sa peau douce d'enfant élevée dans la soie et le velours n'y est pas accoutumée. L'argent de Papa lui a permis de ne pas connaître les joies des draps bon marché. J'endurci mon cœur et laisse mes rancœurs dirigés mes actes et bâillonner ma conscience.

Me déplaçant vers la table, je cache de mon corps mes faits et gestes. Elle ne voit pas que je récupère la petite bouteille déposée à l'avance. Elle ne me voit pas non plus l'ouvrir et prendre un mouchoir.

Kelly s'est installée sur le siège et parle d'un quelconque film. Je n'écoute pas, mes battements de cœur frappent tellement fort à mes oreilles que j'en suis sourde. Les mains tremblantes, je la contourne.

Elle discute et rit. Contente de sa petite vie mesquine et de ses idées. Plus pour longtemps. J'observe sa nuque et sa frêle silhouette. Elle ressemble à une petite poupée. Mon cœur flanche et je me dis que ce n'est pas moi, ça.

Non, je ne suis pas celle qui va s'en prendre à une enfant pour se venger. Non je ne peux pas !

-... Et là, Papa me dit : « Si tu réussi, peut-être que tu auras ta fête », comme si ça allait m'arrêter.

Son père.

Oui, l'homme qui est aux petits soins pour elle, qui lui donnerait tout et même plus.

Celui qui a regardé sans sourciller une enfant hurler de douleur et de terreur. Tout en donnant les instructions de son patron au père de celle-ci, affolé et inquiet. Négociant une reddition totale d'un sénateur sur une loi anti-mafia.

Five [Sous Contrat d'édition Hugo Poche. Sortie le 13 Juin 2019]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant