Evy / Chapitre 12.

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Je choisis une des deux portes qui se présentent à moi, l'ouvre et bingo, une bonne chose dans cette journée. C'est la salle de bain.

-Je parlais de tes bleus et de tes blessures. Il faut soigner ça.

-Mais oui, je te crois. Écoute, je veux être seule, tranquille. Et ne pas avoir, un lourd comme toi, à gérer en plus. Pas Main-te-nant. Il est quoi ? Plus de quatre heures, ce n'est plus l'heure de quoi que ce soit.

-...

Je lui claque la porte au nez et tourne le verrou. Je ne veux pas entendre ses conneries de macho. Je suis à la limite de craquer, ça arrive et ça va me tomber dessus très vite. Je préfère le faire sans qu'il le voie.

Si Five me laisse de l'espace cette nuit, je pourrais peut-être remonter mes barrières et refaçonner un visage serein.


Je retire l'uniforme du restaurant. Enfin. Ces vêtements puent le cigare. Je sais que tout est dans ma tête et qu'après un lavage, il n'y paraîtra plus mais j'aurais toujours l'odeur en tête. Je ne pourrais plus jamais le remettre. J'y penserais sans cesse.

Je fais couler l'eau. Le temps qu'elle chauffe, j'observe les dégâts de cette nuit dans le miroir. La joue droite a une marque rose. Ce n'est pas encore une brûlure, elle ressemble plus à un coup de soleil. Ma peau tire et est sensible.

La joue opposée, elle, est plus marquée. Une trace nette de doigts sur la pommette. Je vais avoir un beau bleu dans quelques heures. Ma gorge n'est visiblement pas meurtrie. Pourtant, elle me fait un mal de chien comme si j'avais trop crié.


J'essaie de rester détachée de ces sévices. Je ne peux pas me permettre de trop penser. Je le ferai quand j'aurais terminé ce que j'ai prévu.


L'eau est chaude à présent et la buée envahit tout, j'entre dans la douche pour me laver. Me laver de tout.


De la crasse et la fatigue de cette journée, la douceur et la sensualité d'un être que je veux haïr, la peur et la douleur délivrées par son père. Je me libère, je laisse ma douleur s'exprimer. Je frappe le mur, pour oublier cette souffrance mentale et la remplacer par une plus physique, mais un petit mal dans la main ne m'aide pas à la surmonter.

Et je laisse couler mes larmes.

Je dois tenir, Nom de Dieu. Pas maintenant. Pas là. Si je veux continuer, je dois rester ici, avec lui et faire ce pour quoi je sacrifie tout. Je dois manipuler Five, donc...oublie la vision de ce cigare brûlant.


Oublie les horreurs du passé, oublie les peurs dans ce bureau. Respire... Enferme ces pensées au plus profond de toi.
Ne pense plus. Respire...

Allez...

Je me répète ce mantra, en boucle, d'abord une main contre la paroi, puis en me lavant. Faire couler l'eau devient un remède, une technique de purification. Si je dois pleurer, si j'en ai besoin. C'est maintenant. Car après, je dois rester concentrée uniquement sur mon objectif. Ne libérer mes craintes et mes doutes qu'à l'abri de ses yeux bien trop observateurs.


Rester silencieuse, sous le bruit des jets d'eau. Il ne doit pas me surprendre dans cet état. Il en profiterait pour pointer mes faiblesses et s'en servir contre moi.

Et puis c'est quoi cette histoire de passer la pommade ! Quel con ! Il remontait juste dans mon estime et là, il me tend le bâton pour se faire battre. Si c'est une façade pour duper son monde en nous imitant le parfait connard, imbuvable et sexy, qui ne se préoccupe de personne à part de lui-même, c'est réussi.

À trop copier, il en a peut-être oublié sa vraie personnalité, et à force de porter un masque, fini par se renier. C'est une leçon que je ne dois pas négliger.


Il ne m'a pas rejoint sous la douche, en prétextant une excuse bidon.


Non, je ne suis pas déçue. Non, je suis surprise qu'il n'en ait pas profité. Vu ce pari gagné, je m'attendais à ce qu'il fasse une tentative. Foutu baiser qui m'a chamboulée et remis en question mes a priori sur le sexe.

Le pauvre verrou posé sur la porte ne fait pas le poids devant lui. Pour le coup, il est resté sage, c'est suspect. Ce qui me fait hésiter à sortir de la pièce embuée. Il le faudra bien à un moment ou à un autre. Je n'ai qu'une serviette et mes vêtements de la journée. Hors de question de les remettre.

Je vais devoir lui emprunter des fringues et cela va entraîner de la négociation. Allons-y pour le sport, je me dis, en ouvrant franchement la pseudo-protection que m'offrait cette porte. Je me raidis en attendant le prochain mouvement dans cette partie engagée avec Five.

L'appartement est bien plus beau et plus luxueux que le mien. Tout l'opposé même. Grand, lumineux, une immense fenêtre donnant sur la rue et mon immeuble. Avec vue imprenable chez moi. Mais ça, c'était mon choix, il m'a fallu donner pas mal de fric pour être logée juste en face.

La seconde porte est ouverte et m'accueillant d'un rayon de lumière, me montre le chemin à suivre. Très subtil, vraiment.


Il ne pouvait pas m'attendre ailleurs que dans sa chambre, non ?


Je fais une pause, me recentre, essaie de me calmer et paraître sereine avant d'y entrer.

Five est installé sur son lit. Un bras replié sur son visage, une main sur le ventre. Allongé, les chevilles croisées, il est en bas de survêtement et torse nu. Une vraie pub ambulante, s'il essaie de me faire baver, c'est réussi. Mais plutôt me faire arracher une dent à vif que de lui faire le plaisir de lui avouer.

En m'entendant approcher, il découvre ses yeux, paraissant plus calme et serein, bien que fatigué et en pleine réflexion.

-Je peux avoir de quoi m'habiller ?

-Vas-y, fouille. Mais je préfère juste ta serviette ou même rien. C'est bien dommage de cacher un corps pareil.

Et c'est parti, je n'ai pas dû patienter cinq secondes pour qu'il commence. Il me ferait presque sourire. Presque.

-Je suis peinée de te décevoir, si tu savais, je lui réponds.

Je cherche un t-shirt et un caleçon, tout en le surveillant du coin de l'œil. Ses mouvements m'indiquent qu'il se redresse à l'affût de mon choix.


Une drôle de sensation me traverse, mélange d'excitation et d'anxiété qui agacent mes nerfs, les rend sensibles et tendus à craquer. Comme si un essaim d'abeilles se nichait dans mon ventre. Personne avant lui, n'a réussi à me faire cet effet. Il m'attire et me repousse. Je suis malgré tout décidée à nier ces émois et à tenter de le manipuler.

Et ça débute maintenant.

Je prends le haut et tends les bras pour l'enfiler. Ma serviette se relâche et me tombe lentement sur les reins. Lui tournant le dos, je ne peux pas voir ses réactions mais une inspiration plus forte se fait entendre.

Je le tiens.

Quelques bruits me donnent des indices sur ses gestes. Froissements de draps, il se redresse, frottements sur le sol, il pose les pieds à terre. Comme si de rien n'était, je passe la tête dans l'encolure en me tortillant. Je récupère in extremis le dernier rempart de ma pudeur avant qu'il ne quitte mes hanches, et tire sur le tissu pour qu'il recouvre mes fesses. Je dois avoir laissé apparaître un peu de peau par-ci, par-là de façon innocente. Je me retourne, le voyant prêt à me rejoindre. Je le stoppe en lui jetant ma serviette à sa tête.
Et je profite de sa cécité temporaire pour mettre le caleçon.


Five [Sous Contrat d'édition Hugo Poche. Sortie le 13 Juin 2019]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant