Evy / Chapitre 10.

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Five est parti se battre, me laissant sans un regard.
Dans ce nid de vipères dont il est issu. En serrant les bras autour de moi, je tente de paraître indifférente à mon entourage.

Ne pas penser au passé et faire ce que j'ai prévu pendant le trajet jusqu'ici. Le duper avec une jolie histoire et une fausse identité. Encore une.


Le fait que Lyons pense me reconnaître peut être un atout. S'il croit que j'avoue la vérité en étant apeurée, il ne cherchera pas plus loin.

À ma grande surprise, père et fils ne s'entendent vraiment pas. La rumeur, que je pensais excessive, est bien en dessous de la réalité. Je dois me servir de ce fait comme d'un levier pour briser cette engeance.


En maître incontesté de la ville et de ses dessous, il tire les ficelles, contrôlant aussi bien les flics que les politiques. Et ceux qui résistent ne le font pas longtemps, mon expérience le prouve.

Je balise à mort. Les souvenirs affluent pendant qu'il observe son fils monter sur le ring. Cette ambiance morbide où les spectateurs sont assoiffés de violence me rend malade. En attente de sang, de cris et de sueurs.


Tout m'effraie. Comment ai-je pu croire que je pourrais gérer ces émotions et mener ma vengeance à bien sans casse ? Ce sont de véritables montagnes russes.


Ma respiration irrégulière va finir par attirer l'attention. Il me faut fixer un point et me focaliser dessus.

Respire... Expire...

-Je sais que je te connais, tes traits me font penser à quelqu'un. J'en suis sûr. Ce n'est qu'une question de temps avant de trouver la réponse. Mais je n'aime pas attendre, il vaudrait mieux pour toi de ne pas m'énerver.

Sa voix lente et assurée me fait perdre le peu de quiétude que je viens de regagner. Il est perdu dans ses réflexions, indifférent aux coups reçus par Five. Il surveille juste son investissement.


J'entends les cris sans rien voir. Il faudrait pour cela approcher de mon ancien bourreau. Tout ce qu'il m'inspire n'est que haine et affolement. Il est dangereux et sans scrupule, au contraire de Five, qui m'étonne. Sous sa façade de salaud et ses manières de gros lourd, il cache peut-être un semblant de compassion.

Le volume sonore augmente d'une fois, la foule en délire hurle « ONE » en boucle.


C'est quoi ça ? Je rejoins la fenêtre à petits pas prudents, la curiosité me faisant surmonter ma crainte.


N'osant pas être trop proche de Lyons, je glisse à l'extrémité opposée de la fenêtre.


La scène est surréaliste. Une cage entoure le ring. On se croirait dans un mauvais film à la Mad Max. Les gens se pressent contre cette frontière de métal. Entre brutalité et sadisme.


Comment peuvent-ils attendre, souhaiter et aimer ce spectacle décadent ? Mon regard se brouille sous le désarroi provoqué. Il n'y a plus que des mouvements flous et colorés dans mon champ de vision. Tout semble se glacer en moi.

Dans ma tête résonne encore les cris d'une petite fille. Elle pleure et supplie. Ces déchets de l'humanité, qui se gargarisent de la douleur des autres, me donnent envie de meurtres. En premier, celui qui chapeaute le tout et engrange les profits.


Je voudrais vomir ma haine et l'abattre tel un chien enragé. Mais ce n'est pas le moment. Il y en a d'autres avant lui dont je dois me préoccuper. Sinon ils s'enfuiront et je ne les retrouverai jamais.


Je remonterai la liste dans l'ordre établi.

-Tu vois, je l'ai poussé juste ce qu'il faut pour lui mettre la rage. Je sais l'amener où je veux.

Il se vautre dans sa propre suffisance. J'ai compris en les écoutants qu'il y a quelqu'un pour Five. Voilà son point faible. C'est ainsi que son géniteur le contrôle. Qui ? Pourquoi ? Jusqu'où tient-il à elle ? Au point d'aller se battre contre une montagne de muscles ou de me faire subir ces sévices il y a dix ans ?


Est-ce que déjà, à l'époque, il ployait sous le joug de Lyons ? Si jeune ? Quand bien même, il a fait son choix et il devra assumer.

« TWO »

Je retourne vers la scène qui se déroule sous mes pieds, la fluidité et la rapidité de ses gestes me fascinent. Il assène ses coups sans hésitation ni pitié.

-Tu vois, je le façonne depuis ses quinze ans, un jour il sera parfait. Je briserai les limites qu'il s'impose, il finira par les dépasser. Alors... si tu t'interposes avec ton visage d'ange et me fous en l'air mon œuvre, tu vas le regretter, me déclare-t-il.

Je n'ai pas le temps de répondre que je me retrouve plaquée contre la vitre, le souffle coupé par le choc. Un des gorilles attrape une de mes épaules et un poignet. Je me retrouve dans la même position que l'adversaire de Five à cet instant précis. Le parallèle est presque cocasse, sauf que la douleur fait rater un battement de mon cœur. Je n'ai rien vu venir. Lyons se rapproche et continue son speech :

-Il ne veut pas m'obéir, je dois à chaque fois lui imposer mes désirs. Et, toi, tu débarques la bouche en cœur pour lui retourner le cerveau. Si tu me mets des bâtons dans les roues, tu finiras en morceaux, au fond d'une poubelle. C'est bien compris ?

Ses menaces ne sont pas vaines, il les met toujours à exécution.

-Je vous en prie, je...

Je bafouille une réponse, la peur au ventre. L'homme de main me libère au moment où une gifle monumentale m'est assenée. C'est Lyons.

Je m'effondre au sol, à genoux. Un goût de sang me prouve qu'il n'y a pas été de main morte. Des larmes coulent, impossible à retenir.


Pas besoin d'imiter la panique, elle me prend à la gorge. Je garde les yeux baissés, pour cacher la répugnance et la fureur qu'il m'inspire. Il ne doit pas voir que je suis prête à le tuer.

Mon ventre se serre, la nausée me rend faible. Des signes physiques tels que mes tremblements et mes sanglots peuvent lui faire croire à de la terreur.


Dommage que je ne sois pas armée. Plan ou pas, je l'aurais fait. Cette envie de meurtre m'obsède.

Ses pieds viennent s'insérer dans mon champ de vision. Je me crispe dans l'attente d'un coup. Je ne peux m'empêcher de crier quand il agrippe mes cheveux. Qu'ont-ils tous à s'en prendre aux cheveux, putain ?


Je tente de rester droite et de soulager ainsi la douleur.

-Je sais que je te connais. Tu vas me répondre, sans quoi tu connaîtras la vraie douleur.

-Non,...je... je ne vois pas... je suis Evy, je bégaye, le timbre entrecoupé par les pleurs.

Il fixe son regard dans le mien, indifférent et stoïque, me dévoilant son horrible nature. Il s'en fout de terroriser et de torturer, tant qu'il obtient son dû, en véritable psychopathe.

-Tu me le diras, tu sais. Inutile de mentir ou d'essayer d'attirer ma pitié. Je n'en ai pas.

Il me fait plus que peur, une terreur sans nom déferle en moi et empêche toutes réflexions cohérentes. Ce n'est pas le moment pourtant. Sa main accrochée dans ma chevelure est si serrée, qu'elle me donne l'impression de s'enfoncer dans mon crâne.


Je me débats de toutes mes forces. Des mains viennent en renfort et appuient sur mes épaules par-derrière.

Et là, ma hantise, revenant des profondeurs de mon pire cauchemar, refait surface. Il amène le cigare qu'il tient à la hauteur de mon visage.

La lueur incandescente se rapproche de ma joue.


Five [Sous Contrat d'édition Hugo Poche. Sortie le 13 Juin 2019]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant