Evy / Chapitre 11.

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En voyant approcher cet ignoble rappel de mes souffrances passées, je panique totalement.

Secouant frénétiquement la tête pour éviter la brûlure et la douleur dont je me souviens si nettement. Un bras s'enroule autour de mon cou, empêchant toute retraite possible.


Je griffe le bras pour lui faire lâcher prise afin de récupérer un peu d'air. Et éclaircir mes idées. Je ne veux pas souffrir de cette façon, je ne supporterai plus cette douleur infernale.


La chaleur augmente à devenir insupportable. Il ne me touche pas encore mais il est si près que ma peau doit rougir. La peur me tord le ventre. Si je pouvais m'échapper de ma peau, je le ferais de suite. Je me sens mourir de l'intérieur, je ne tiendrais pas... pas la joue, pas le visage ! Non !

-Je... Pitié non... Je m'appelle Evy... Evy Langdon.

Je souffle cette fausse réponse dans un chuchotement emmêlé de sanglots pathétiques. Les paupières crispées pour ne pas être éblouie par l'extrémité brûlante.


J'ai finalement réussi à sortir la version voulue. Ce nom de Langdon me permet de le tromper. De lui faire croire à mon « innocence » et lui donner une raison plausible de lui cacher ma soi-disant véritable identité.

-Langdon ?

Il relâche sa prise et se redresse, éloignant son cigare de moi.

-Langdon ? J'ai connu un Langdon... Tu es sa fille ?

-Oui, j'ai cru que,... comme il avait eu des soucis avec vous ...c'était mieux de ne pas vous donner mon vrai nom. Rien d'autre. Je vous le jure,... juste pour être tranquille.

Je débite mon discours de façon hachée, récupérant de mes émotions, en pleurant et toussant. Ma gorge me fait un mal de chien. Je ne sais pas comment j'ai réussi à me souvenir du bon patronyme, vu l'état de terreur où je me trouve.

C'était prévu mais le faire dans une situation pareille est un miracle. Mon cerveau est en bouillie. Je me suis affolée et mon passé m'est revenu en pleine face.

-Oui. Là, je te crois. Tu vois, ce n'est pas si dur de dire la vérité, me fait-il, la satisfaction tout à fait reconnaissable dans le ton utilisé.

Un vrai pourri.

La porte s'ouvre à la volée, claquant contre le mur. Five est de retour.


Un peu tard pour moi. Je relève la tête et l'aperçois. Il ne s'est pas changé. Toujours torse nu, les abdominaux saillants et couverts de sueur, les mains bandées maculées de traces.


Il a l'air fort, sûr de lui et en colère.

Fâché contre qui ? Pour qui, pour quoi ? Moi ? Ce serait surprenant. Mais ma journée entière est une avalanche de découvertes et de révélations.


Son regard survole la pièce et me trouve au sol, du sang aux coins des lèvres, à chercher mon souffle. Je dois paraître pathétique. Il vient vers moi d'un pas rapide, me relève en douceur. Du bout des doigts, ce dur à cuire effleure ma joue et fronce les sourcils.

-Je vois que tu as encore fait de ton mieux pour paraître sympathique, dit-il à son père en continuant à me fixer, la voix glaciale. Espèce de salaud.

-Je suis gentil avec ceux qui le méritent. Maintenant, Evy et moi, nous nous comprenons. C'est le principal.

-On s'en va, tu as eu ce que tu voulais. Mais je te préviens. Ne la touche plus.

-Tu sais comment ça marche. Si tu tiens tellement à ta pute, tu connais le tarif. Je me demande si elle vaut le sacrifice, répond ce salopard en rigolant.

Five m'entraîne vers la sortie, me soutenant, un bras enroulé autour de ma taille. Je remarque la lenteur de sa démarche, pour montrer ou démontrer qu'il ne craint personne dans cette pièce. J'aimerais lui ressembler.

Au lieu de cela, je dois me retenir de m'enfuir en courant. Ou plutôt de tenter, mes jambes tremblantes ne me le permettraient pas.

*******


Le retour se fait dans un brouillard. Je suis en état de choc. Une fois de plus. Je tremble, pleure et sursaute au moindre mouvement de mon compagnon d'infortune.


Son soutien et son réconfort silencieux me blessent. Je suis à vif, souhaitant ne pas avoir besoin de lui et rester seule pour lécher les plaies. Mais il insiste.

Je ne veux rien de lui. Sûrement pas ce qu'il me propose alors que les souvenirs d'un temps révolu reviennent, me rappelant qui, m'a déjà fait souffrir, et de quelle manière. Brutale et sans pitié pour la petite fille que j'étais alors. Son visage se superpose à celui inquiet, d'un jeune adolescent.


«-Tu peux m'aider ?

-Non, je ne peux pas, me murmure sa voix.

-Pourquoi tu ne veux pas, j'ai peur. Ils me font du mal.

-Je... je suis obligé de faire ce qu'il veut. Je n'aime pas mais il le faut.

-S'il te plaît, Noah... s'il te plaît. »


Il ne se souvient pas de cette fillette apeurée et meurtrie que j'étais. Emprisonnée dans cette cave. Du haut de ses quinze ans, il me paraissait si fort, pouvant me sortir de cet enfer. M'aider à m'échapper.


«-Alors, préviens mon père. Il me libérera. Je ne peux plus... s'il te plaît.

-Dis-moi ton nom, mais je ne promets rien. Je ne sais pas si j'aurais l'occasion.

-Annabelle Rus... »


Mais Noah n'a pas entendu, un bruit l'a vite fait s'enfuir, avant de savoir mon nom de famille. Me laissant seule dans l'obscurité avec les monstres.



Une main frôle ma joue, me faisant sursauter. Me catapultant hors de mes souvenirs, rappels douloureux de ses fautes. La moindre d'entre elles étant son abandon cette fois-là.



Il me fait entrer chez lui, nous avons fait le trajet sans que j'y prête attention.

-Redis-moi pourquoi je suis chez toi au lieu de pouvoir me coucher dans mon lit ? Je l'interroge en faisant quelques pas dans son salon.

-Tu ne dois pas rester seule. Tu as subi un choc en restant avec Lyons et ta sécurité est compromise.

Il me sort ses raisons très sérieusement.


Il croit vraiment que pour le réconfort, je vais me tourner vers lui. Bien sûr ! Quelle bonne blague, je trouve. Un ricanement intempestif me secoue. Toutes ces émotions doivent se libérer, tel un barrage qui se fêle sous la pression. Je craque. Je ne peux que rire de l'ironie de la situation. Un poil hystérique.

Five me regarde fixement.

Il m'a dit dans l'escalier qu'il veut qu'on se couche le plus vite possible, la nuit étant bien avancée. Il est persuadé que je suis d'accord. Cette idée augmente mon hilarité.


Un verre d'alcool apparaît devant moi. Je le bois cul sec et m'étouffe avec. Une quinte de toux me prend et coupe net mes débordements.


Une chaleur bienfaisante se répand dans mes veines et me remet les idées en place.

-Ça va mieux ? me demande-t-il.

Il m'observe sérieusement, s'attendant à tout moment à me voir craquer à nouveau. Il doit également se poser mille et une questions sur mon passé et la raison de ma présence dans sa vie.

-Pour un premier rendez-vous c'était assez agité, me dit-il, donc on va aller à la douche, se passer de la pommade puis se coucher.

La façon de parler de « pommade » en me déshabillant du regard me fait comprendre qu'il est en mode « baise ». Un trop-plein de testostérone post- combat je suppose.

-Une douche Seule me convient, je lui réponds en insistant sur ma solitude puis j'enchaîne :

-Mais, si tu crois que je vais te passer de la pommade, tu peux te brosser. Connard !




Five [Sous Contrat d'édition Hugo Poche. Sortie le 13 Juin 2019]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant