Five / Chapitre 1.

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Il m'a suivi.

Que me veut ce rat ? Je ne l'ai jamais supporté, sa vue me débecte.

Rien de nouveau, il sert mon père depuis toujours. Faisant ses sales besognes, léchant les bottes et espionnant ma vie. S'il me fait chier ce soir, il va le regretter.

Il se cache derrière une benne, se pensant invisible. Quel con !

Je le maintiens dans la croyance que je ne l'ai pas vu. J'allume ma clope lentement, prenant le temps de souffler une bouffée de fumée.

Je bloque ma respiration quelques secondes et me concentre sur les bruits environnants. Ses semelles qui frottent le sol, une voiture qui passe au loin, le fond sonore d'une série télé mis au maximum dans un des appartements du bâtiment voisin. Tous ces bruits différents, de ces gens que jignore, que je côtoie sans vouloir les connaître.

Cette ruelle me permet de décompresser, de réfléchir et aussi de comparer ma vie à la réalité. Ici, lhumidité, les odeurs de détritus, les chats errants qui miaulent, tout cela me crie que je suis en vie et chanceux. Kenny tremble tellement que la poubelle vibre. Pour la discrétion, il repassera.

Autant en finir tout de suite.

-Sors de là, je lui ordonne. Kenny, ne me force pas à me répéter. Tu sais ce qui arrive quand on me fait chier.

Il sort en se tordant les mains. Les pieds traînants, son imperméable défraîchi pendouille tel un misérable. Les cheveux gras et filasses, la peau jaune, son air maladif, m'ont toujours dégouté. Son apparence reflète sa vraie nature.

-Pourquoi tu me suis ? Tu vas encore me supplier, mendier une faveur ?

-Five, s'il te plaît, j'ai besoin...

-Quoi ? Je ne suis pas un dealer ! Tes doses, tu te les procures ailleurs.

-Mais tu as dit...

Il s'approche, mettant ses mains en poche. Et comme un con, je l'autorise à entrer dans ma zone personnelle.

-Rien à foutre ! Je balance. Je ne veux pas te voir ni te parler.

Une silhouette apparaît dans l'entrée de la ruelle. Elle me déconcentre, deux secondes max, ce qui me vaut une douleur dans l'abdomen. Je baisse les yeux et je vois qu'il m'a planté avec une lame de dix. Dans le ventre. Une belle coupure, selon la sensation je dirais, pas trop profonde mais assez grande.

Merde !

Son regard est comme fou. Il est blême et il transpire. Il est en manque, ce connard.

Je l'empoigne à l'épaule et de l'autre main je le cogne. Je le projette contre le mur. Il me repousse mais il n'est pas à la hauteur. Même blessé, je suis plus costaud, surtout plus en forme. Pas affaibli par toutes ces drogues qu'il s'enfile. Et j'ai la rage qu'il ait osé me défier

-Qu'est-ce qui t'a pris ? M'attaquer ne te vaudra rien de bon. Ou alors, on t'a payé pour me supprimer ? Qui ?

-Personne ! Couine-t-il comme une fille.

Je lui tords le poignet et il lâche son surin. Je lui bloque les épaules avec mon avant-bras et me tourne pour surveiller l'entrée du passage. Mais j'ai perdu de vue l'intrus. La fouine se débat, me fout un coup de genou dans l'entrejambe. La douleur, associée à celle de ma blessure, me fait me plier en deux et je desserre ma prise. Il en profite pour me frapper direct dans le ventre. Putain que ça fait mal.

Un mouvement, dans mon champ de vision, me montre qu'au lieu de se barrer avant que je ne le bute, Kenny a pris la décision d'en finir. Il veut m'achever. Il a sorti un flingue de son manteau et me braque.

-Quoi ? Tu vas oser ? Vas- y, je lui dis. Tu attends quoi ? Rien à foutre de clamser.

Le canon tremble, comme son propriétaire. C'est un putain de lâche et un camé. On ne sait pas prédire ce qu'un junkie va faire.Ça me foutrait les boules d'être éliminé par une merde pareille. Triste fin pour moi et pas glorieuse.

Une détonation résonne.

Ayant les yeux rivés sur le canon, je sais pertinemment que ce n'est pas lui qui a tiré. Cette ordure tombe à terre, la face dans une flaque d'eau trouble et nauséabonde. Rendant son dernier souffle de la même manière qu'il a vécu.

Comme un rat.

Je fais un pas de côté et j'ai finalement une idée de mon sauveur. L'intrus entraperçu quelques instants plus tôt et qui a soufflé la menace pesant sur ma vie, est une femme.

Elle est surprenante. Son regard est droit et froid. Sans peur ni même une quelconque émotion. Gris fumé comme celle qui s'échappe encore du canon de son arme. La main fine qui la tient ne tremble pas. Un sourcil se relève, j'ai une vue nette de son visage dange. Un ange de la mort.

Pâle, une bouche à damner un saint, un nez petit et des boucles brunes qui sortent de la capuche relevée de son sweat.

Ayant besoin de la voir de plus près, je m'approche en enjambant le cadavre de Kenny. Sans un regard pour cette petite merde.

Elle ne cille pas une seule fois. J'ai une réputation et ma carrure en impressionne plus d'un. J'ai pratiqué la boxe et les sports de combat, légaux ou non, pendant ces dix dernières années. Ce qui a façonné les muscles de mon corps. J'ai l'air brutal et j'aime faire flipper mes interlocuteurs. Dans le milieu d'où je viens, prendre l'ascendant sur les autres est une question de vie ou de mort.

Être le fils de Lyons n'a jamais été une protection. Au contraire. J'ai toujours eu à me battre pour défendre moi et ceux à qui je tiens. Très peu peuvent se vanter de compter pour moi.

Tout ça m'a forgé et formé l'âme et le corps. Cette fille ne recule pas, ni ne frémit, ni n'ouvre la bouche. Elle daigne se laisser approcher par un mec tel que moi et être dominée par ma hauteur. Jaime sa bravoure. Ou son inconscience ?

Mon sang coule le long de mon ventre et commence à imbiber la ceinture de mon jean. La douleur est sourde et m'emmerde grave. J'ai l'intention de l'ignorer et de faire comme si de rien n'était. Je ne veux montrer à cette fille aucune faiblesse.

Voulant savoir qui elle est et ce qu'elle fout là, j'ancre mon regard dans le sien et je lui balance durement :

-Tu es qui, toi ?

-Moi, je suis celle à qui tu dois la vie, Five.

Sa voix rauque me prend de court. Elle passe sur moi telle une caresse, descend le long de ma colonne et va direct titiller ma queue. Cette fille est bonne, sa bouche est bonne et sa voix me file la gaule.

-Comment tu connais mon nom ?

Oh, je sais, c'est tout. Qui ne connaît pas Five, le fils rebelle de Lyons. Celui qui refuse de se mêler des affaires de son père.

Elle me sourit froidement, sans montrer une once d'intérêt pour moi.

J'avance d'un pas et colle mon corps au sien. Elle lève la tête et j'en profite pour lui retirer son joujou. Pas envie de me prendre une balle.

Five [Sous Contrat d'édition Hugo Poche. Sortie le 13 Juin 2019]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant