Alice.

225 35 8
                                    

« Mais alors, dit Alice, si le monde n'a aucun sens, qui nous empêche d'en inventer un?  »

Citation attribuée à tort à Lewis Carroll dans Alice au Pays des Merveilles.

Des héros et héroïnes peuplent les rêves et les fantasmes des enfants. De braves et vertueuses personnes qui arpentent le monde à la recherche de paix et d'amour. Pour ma part, c'était très différent. Pour ce genre de héros, j'avais déjà moi-même. J'étais quelqu'un de vertueux : gentille, bien intentionnée ; je pouvais devenir l'amie des personnes les plus détestables. Je suivais ce que ma mère m'avait toujours dit de faire, sans dépasser les barrières de l'insolence. Mais j'avais peur; de décevoir et d'être déçue, et donc je me retrouvais dans mon coin, sans faire de mal à personne, ni risquer de me faire mal moi-même.

Mes attentes s'étaient donc tournés vers d'autres horizons. Mes vedettes n'étaient pas ces héros moraux, les Superman et les courageux chevaliers se battant pour le bien de leur nation. Je pouvais admirer les démons et le Diable; j'étais tentée par ces personnages dont l'audace me semblait si épatante, eux qui bravaient l'interdit et n'avaient pas peur des limites que le monde leur imposait. Ces génies du mal aux pensées tordues, aux mains salies de sang, aux fantasmes et divertissements les plus malsains. C'étaient eux, mes héros. Tout ce que moi, je n'étais pas. 

J'y avais beaucoup réfléchi lors d'une de mes conférences de Lettres modernes, où nous étudions les héros des œuvres littéraires classiques. J'avais apprécié le personnage de Don Quichotte, ce banal hidálgo qui avait décidé, du jour au lendemain, de quitter sa vie monotone pour s'inventer un personnage, celui d'un chevalier qui parcourt le monde accompagné de son écuyer Sancho Pança. Son errance picaresque me faisait rire, et les aventures farfelues qu'il vivait sur son cheval me fascinaient. J'aurais aimé, moi aussi, comme Don Quijote, partir dans un autre monde et chercher à devenir ma propre héroïne, en quittant ma vie monotone et banale. Combattre des moulins à vents, une lance entre les mains ; m'évader, prendre la place d'un autre que je ne suis pas. J'avais pris des notes sur ce personnage qui me paraissait si intéressant, avant de fermer mes cahiers lorsqu'il fut temps de manger.

Je quittai l'amphithéâtre d'un pas lent et nonchalant. Mes livres sous le bras, comme d'habitude, j'allai rejoindre Lola à la cafétéria de l'université. Lorsque j'arrivai, je vis seulement Héloïse qui envoyait un texto à quelqu'un. Héloïse était une amie de Lola. Elle me l'avait présentée quelques semaines auparavant. C'était une grande fille au corps svelte et élancé, qui portait toujours un large trait d'eye-liner au-dessus de sa paupière et des cheveux blonds attachés en un imposant chignon, semblable à Amy Winehouse avec une autre couleur de cheveux.

Je m'approchai, étonnée.

«Salut Hélo, dis-je doucement. Lola n'est pas là ?

-Si, répondit-elle en souriant. Regarde, juste en face, là-bas».

Je levai les yeux, et vis une jeune fille qui accrochait sur le tableau d'affichage de la cafétéria un papier. En m'approchant, je devinais des mots écrits en grandes lettres capitales. Lorsque je fus près de mon amie, j'arrivai enfin à lire. «Recherche acteurs pour tournage d'un court-métrage. Si intéressé.e, contactez Lola Torregrossa (ou Dolores si vous préférez ce prénom digne d'une mauvaise télénovela)». Ce dernier commentaire m'arracha un léger sourire.

«Je rêve, dis-je en l'observant. Tu ne t'arrêtes donc jamais.

-Moi ? dit-elle en m'apercevant. Tu me connais peu, Hélène Verbeeck . Je n'ai peur de rien».

Elle recula de quelques pas, les yeux toujours posés sur cette feuille. C'était une œuvre d'art, elle semblait vouloir desceller ses mystères et ses secrets. Mais ce n'était qu'un simple papier avec quelques mots gribouillés dessus.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant