L'assassine. (partie II)

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J'avais poussé la porte avec violence, elle avait gémi en frappant le mur à mes côtés. Les dalles craquaient sous mes semelles. La lumière éteinte, je devinais les contours de son salon, les ombres des coins de son appartement, celles de la porte de sa chambre. J'y entrais, les guirlandes étaient allumées, elles se reflétaient contre le mur, belles et harmonieuses. Elles m'attendaient. Peut-être savait-elle déjà que j'allais débarquer.

« Alice ? » j'appelai doucement en balayant la chambre du regard, suivant des yeux les petits points colorés qui scintillaient au-dessus de ma tête. « Tu es là ? ». Mes yeux s'accrochèrent aux photographies sur les murs. Avec surprise, je remarquai que la mienne n'y était plus. Le mur couleur pastel était nu entre deux clichés.

Je déglutis. Serrai la mâchoire, contenant la colère dans laquelle je m'engouffrais. Sans réfléchir, je me précipitai vers la salle de bains. Sous le placard du lavabo, les flacons étaient à moitiés emplis ; c'étaient les mêmes que j'avais aperçu la première fois où j'étais venue chez Alice. Tout aussi malsains et effrayants.

Une rage aveugle m'emporta. Je balayai du bras le placard, ils glissaient sur le verre, ils s'écrasèrent au sol, en un tintement, d'autres en se brisant. Un concert de bruits assourdissants. Les gélules s'étalèrent sur la céramique, glissaient et roulaient au sol, essayant de s'échapper. Je prenais un à un les flacons restants, et d'un geste enragé, les lançai contre un mur en face de moi. Bientôt, les éclats de verre cessèrent, et j'étais entourée de ces horreurs colorées qui finissaient de rouler au sol.

Je retournai dans sa chambre et ouvris tous les tiroirs que je pouvais apercevoir. Sa garde-robe était vide : seuls quelques affaires jonchaient là. Je glissai ma main dans les poches. Dans l'une d'elles, une sacoche de poudre blanche. Je serrai le poing et l'écrasai sous ma paume.

Mes yeux glissèrent vers sa table de chevet. J'ouvris l'un des tiroirs qui faillit s'arracher.

Il y avait là une seringue déjà usée. Des sachets de poudres de différentes couleurs, des buvards, et d'autres flacons et boîtes de médicaments. Effrayants ils étaient, jonchés là, cachés de mes yeux depuis tant de temps. Tout sembla s'éclaircir dans mon esprit, et des images fugaces d'Alice apparurent dans mon esprit accompagné de son rire distordant qui s'effaçait : des images tout aussi affreuses que ces pastilles colorées qui m'appelaient de leur douce voix de sirène.

Hurlant de rage, j'attrapai la seringue et la cassai en deux. Molly était là, mais elle ne brillait plus. J'agrippai les sachets de poudre et les enfonçai dans ma poche. Mes cris, le fracas des flacons se brisant contre les murs, était un brouhaha incessant de violence, une harmonie brutale et désagréable.

« Qu'est-ce que tu fous ? »

Ce fut un éclair de voix qui scinda mon univers. Je me retournai subitement, croyant l'apercevoir dans l'encadrement de la porte. Une silhouette s'y dessinait, grande et élancée.

« Réponds, répéta-t-elle, tu fais quoi, là, hein ? »

Ce n'était pas elle : sans cette voix éraillée, Alice n'existait pas.

« Vous êtes qui ? je lui demandai.

-Fais pas la maligne comme ça avec moi. C'est pas chez toi, ici, d'accord ? Alors dégage avant que j'appelle la police.

-C'est pas chez toi non plus ». 

Je m'impressionnais. J'avais l'air tellement sereine, alors que ma gorge serrée me priait de m'en aller.

C'était une jeune fille, sûrement plus âgée que moi. Elle avait une peau obscure et de grands yeux noirs aux pupilles dilatées qui me regardaient avec insistance. Sous la lumière des guirlandes, elle ne souriait pas.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant