Elle.

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Je m'étais rendue un soir à cette même plage où, le lendemain, seule, les pieds dans les vagues, je m'étais réveillée. Pendant toute une journée j'avais marché en espérant m'y rendreu, au bord d'une route sinueuse et cabossée au gravier poussiéreux. En arrivant face à l'océan, il y avait ces mêmes lampadaires au fond qui brillaient, ce même doux vent froid qui glissait sur ma peau. Je marchais pieds nus le long de la plage, les grains de sable me chatouillaient la peau. Au loin, une falaise déchiquetait le ciel pourpre de la soirée. J'avais grimpé le long des rochers qui griffaient mes mains et mes orteils. J'écoutais le son des vagues qui s'écrasaient sous mes pieds lorsque, après plusieurs minutes, j'arrivai en haut de cette petite falaise. Perchée dans les cieux, les yeux rivés vers l'horizon, j'étais restée là, observant le soleil se couchant.

Mes pieds saignaient, des cailloux s'enfonçaient dans ma plante. Je marchais doucement à la bordure de la falaise. D'un côté, l'herbe verte sur laquelle le vent soufflait carressait ma peau. De l'autre, le vide s'offrait à moi, m'attirait, me tendait sa main. Des rochers épineux se dressaient sur la mer, et les vagues qui s'y écrasaient voyaient son écume s'envoler dans les airs et porter à mes narines une odeur marine.

J'étais suspendue à un fil qui tanguait sous mes orteils. J'avais les bras tendus, sentant les torrents du vent glisser le long de mon corps, soufflant sur mes cheveux balayant les airs. Je voyais, au loin, cette plage au sable blanc. Il y a quelques semaines, nous étions là, elle et moi. Dans ma conscience, elle avait disparue, comme sa silhouette s'était échappée le matin suivant. Elle n'existait plus. Et pourtant, ces lieux idylliques étaient hantés par ce murmure qui encore venait à mes oreilles, porté par les vagues peut-être, accompagné de quelques grains de sable mouillés.

« Je t'aime », elle m'avait dit. Je l'avais senti. Dans ses yeux, ses mains, son corps entier. Ses gestes, sa tendresse, ses lèvres qui étaient venues me murmurer de doux mots. Sa bouche sucrée qui m'avait fait hurler d'un plaisir vigoureux, et ses mains qui avaient semblé s'accrocher à ma peau pour ne jamais la lâcher.

Et pourtant, ces mots avaient été si faibles. Ils étaient partis aussi rapidement qu'ils s'étaient accrochés à ma mémoire. Volatilisés, brûlés par le soleil qui, dans la limite de l'horizon, voyait son feu doré s'éteindre. Aussi faibles que ma conscience à cet instant présent qui tanguait sur ce fil. Dans ce rêve éveillé dans lequel j'étais enfouie, où je vivais sans vivre.

«Et si je tombe, je murmurais. Si je tombe, vais-je mourir ?

Tout cela me semble si faux. Irréel. Pourquoi je n'arrive plus à toucher comme avant? À vivre, écouter, sentir? Si je tombe, mon rêve se terminera. Je me réveillerai enfin, dans un autre monde, dans un autre univers. Autre que celui-ci.

Peut-être celui que j'attends »

Je tanguais sur le fil de ma vie, un petit souffle de vent me suffisait à basculer d'un côté ou de l'autre.

***

Ma mère m'appela un soir. Lorsque je vis le mot " Maman " apparaître sur l'écran de mon portable, je me rendis compte que j'avais oublié l'existence des mes parents. L'idée d'avoir été élevée par eux m'était abstraite, étrangère. Comme une histoire que l'on me racontait sur une autre personne. Mais, ce n'était pas moi.

« Bonsoir ma chérie, me dit-elle, et sa voix était celle d'une inconnue, tout comme ses mots. -ma chérie, j'avais l'impression que jamais on ne m'avait appelé ainsi-. Comment tu vas ?

-Bien, répondis-je d'un filet de voix, alors que mes yeux divaguaient derrière la fenêtre de ma chambre, observant la ville s'animer sous un ciel pastel.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant