Mains sanglantes.

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Un cri. Puissant, qui m'a griffé la gorge, qui s'est agrippé à mes lèvres, mais qui n'en est pas sorti.

Je me réveillai en sursaut, mes yeux s'ouvrirent en grand. J'haletais, mon corps tremblait. Mes jambes semblaient inexistantes, comme du vent qui glissait sous les draps de mon lit.

Je voulais hurler, mais c'était impossible. Mon corps était constellé de gouttes de sueur, une vague de chaleur m'engouffra dans un enfer de pensées violentes, désagréables, de sons turbulents et d'ombres qui déformaient mes alentours.

Je croyais mourir. Je pensais assister aux derniers instants de ma vie, couchée sur mon lit.

Mes jambes lourdes me guidèrent jusqu'à la salle de bain. A tâtons, je cherchai l'interrupteur et allumai l'ampoule qui clignota au-dessus de ma tête. Le miroir était en face de moi, à quelques centimètres. Il m'appelait, d'une voix douce et dissonante qui résonnait en écho autour de moi. Des mots indistincts, qui glissaient dans mes entrailles.

Je devais me voir vivre car je n'y croyais pas. J'avais le besoin de me percevoir pour me prouver que j'existais.

Et pourtant, mes yeux se déposèrent sur une silhouette que je ne reconnus pas.

Elle me ressemblait étrangement. J'aurais pu dire que c'était moi, car elle clignait des yeux au même instant, car ses pupilles dilatées ne faisaient que traduire la peur que je ressentais à cet instant précis. Mes doigts vinrent glisser le long du miroir, et le reflet le faisait aussi.

Mais ce n'était pas moi. Au plus profond de mon être, j'en étais consciente.

Ce n'était plus moi.

Depuis quand, me dis-je. Depuis quand Hélène avait disparue ? Aucune réponse ne pouvait m'être fournie. Cette nuit-là, j'étais effrayée. Je me sentais différente, mon corps dissocié de mon âme. Je me sentais évoluer dans un rêve éveillé, tremblante et fragile. Tout pouvait m'arrêter et pourtant, rien ne le faisait. Les gémissements qui s'échappaient d'entre mes lèvres étaient les derniers survivants d'une angoisse profonde : celle de se sentir perdue.

Je lâchai un dernier soupir d'horreur avant de retourner me coucher. Après plusieurs minutes d'agonie, je réussis finalement à calmer les pulsions et les ardeurs de mon corps pour finir par m'endormir. Comme si ces derniers souffles provenant du plus profond de mon corps étaient les dernières traces d'Hélène qui pouvaient exister. Elle avait totalement disparue, et moi, j'étais égarée.

***

Je la cherchais, voilà tout. Je courais dans les couloirs de la faculté, je bousculais les autres sans me soucier des grimaces qu'ils me lançaient.

« Alice » je murmurais d'une voix faible. J'avais besoin de prononcer son prénom, c'était ma salvation. « Où est-tu », comme si elle allait me répondre. Comme si ma plainte lui importait davantage.

Je bousculai un élève. C'était une fille aux longs cheveux auburn. Elle se retourna subitement, nos regards se croisèrent pendant bien trop longtemps. Je la connaissais, mais j'étais incapable de réagir à ses yeux verts insistants.

« Hélène, qu'est-ce qui t'arrive ? »

Lola semblait inquiète, j'ai plissé des yeux comme pour mieux comprendre ce qu'elle me disait.

« Rien », dis-je simplement.

Je me suis subitement retournée et je suis partie. Je me suis enfuie sans rien dire, telle une ombre vagabonde, un fantôme errant, aux cernes creuses et aux lèvres sèches.

***

Cette nuit-là, alors que nos corps jonchaient sur le sable froid, que nos mains s'entremêlaient, Alice m'avait parlé, comme jamais elle ne l'avait fait auparavant. Elle commençait toutes ses phrases en prononçant mon prénom, ça me rendait folle de plaisir.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant