Mots enfouis.

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                        «   Write yourself, you will survive »

Delphine de Vigan, D'après une histoire vraie.

     Je rentrai chez moi d'un pas pressé. Il pleuvait en ce mois de novembre, le froid me griffait le visage sous la capuche de mon lourd manteau. Mes chaussures trempes glissaient au sol quand je courais sous la pluie. J'arrivai devant mon immeuble et lançai un juron lorsque je fus enfin dans le hall d'entrée de l'immeuble, ou je pouvais entendre la pluie qui semblait fracasser le sol. Mes mains tremblaient, je ne savais pas si de froid ou de colère et d'angoisse. Je montai les escaliers en essayant tant bien que mal de sécher mes cheveux et frappai à la porte de chez moi. Lorsque ma mère m'ouvrit, elle arbora un large sourire, contrastant avec mon visage tiré et ma mâchoire crispée.

            Elle me demanda ce qu'il m'arrivait et je ne répondis pas. Je me précipitai sur mon lit, me couchai sur mon matelas. Je voyais qu'il commençait à faire nuit, la soirée s'annonçait froide et maussade.

            « Hélène, grogna ma mère. Je peux savoir ce que tu as ? »

            J'aurais aimé lui dire que j'avais besoin de solitude. Qu'il m'était arrivé quelque chose d'étrange, que mon corps ne se reconnaissait pas, que je n'avais plus l'impression d'être moi-même. J'ai murmuré quelques mots ; je ne me souviens plus exactement lesquels, et je me suis caché de tout l'univers en enfouissant mon visage entre mes bras, comme si je voulais me cacher du monde réel.

            « Hélène ! » elle hurla. Et ce cri strident m'arracha les oreilles, me perça les tympans, et ce fut à mon tour de hurler, de m'égosiller, à me faire mal à la gorge.

            « Laisse-moi ! -je pris ma respiration mais un nouvel élan de colère et de confusion m'ébranla-. Laisse-moi seule, putain ! Je veux être seule ! ».

            Ma mère resta muette, mes mots furent suivis de sanglots. Je ne la regardai pas, je restai cachée sous mes bras, observant du noir. J'entendis ses pas s'éloigner, et après quelques minutes elle claqua la porte derrière elle.

            J'étais enfin seule. Avec moi-même, avec ma propre conscience. Mon corps était seul dans cet espace, il se retrouvait physiquement présent dans une salle, où personne d'autre ne pouvait me déranger.

            Il était temps pour moi de me comprendre.

            Je me levai précipitamment, me dirigeai vers ma salle de bains. J'observais mon visage. Oui, c'était bien moi. Là, présente. J'étais cette silhouette frêle et malade qui se dressait sous mes yeux. J'étais cette fille là. C'était Hélène, celle que je pensais connaître.

            Je fermai les yeux, retrouvai un instant l'image d'Alice dans mon esprit.

            Mon cœur fit un nouveau bond, je hurlai de douleur.

            Un pincement m'agrippa l'intérieur de mon corps. Non, je ne savais pas. Depuis quand ?

            Depuis quand la personne que j'étais avait de l'attirance pour les femmes ?

            Que m'arrivait-il ? Est-ce que je devenais folle ?

            C'était ça, peut-être. Je devenais cinglée.

            J'eus alors une force invisible qui me poussa à m'éloigner de mon propre reflet. Je sortis de ma salle de bains, empoignai d'une main tremblante un papier et un stylo qui jonchaient sur mon bureau. Je m'assis en califourchon sur mon lit, soupirai, fermai les yeux. Puis, ce fut un moment pendant lequel mon corps fut contrôlé par mon esprit ; tout était en osmose. C'était intentionnel, c'était instinctif.

            Je me mis à écrire, chacune de mes pensées, chacun de mes sentiments, de mes émotions. J'écrivais, sans cesse, sans pouvoir m'arrêter.

            Je dessinais la silhouette de cette fille dans mon esprit, et je la décrivais par des mots. Je me souvenais de sa danse, du mouvement de son corps sous mes yeux, et je l'écrivis.

            Je passai une heure à cracher mes émotions et mes sentiments cachés au plus profond de mon coeur sur cette feuille. J'essayais de comprendre, de capter ce qui était passé par ma tête à ce moment. C'était frais, c'était récent. Il y avait en moi un sentiment étrange, et j'écrivais sans pouvoir m'arrêter.

            Après une heure, lorsque j'eus terminé, je posai la feuille et le stylo au sol, et je me couchai sur mon lit en lâchant un long soupir de soulagement.

            J'avais lu quelque part qu'écrire nous permettait de survivre. Car on se délivrait, on se mettait à nu face au monde, et c'était rassurant de voir notre inconscient libéré de tout ce qui pouvait le tracasser.

            Et c'était vrai. Je m'endormis paisiblement après avoir écrit. Je rêvai d'une silhouette se tortillant avec sensualité, suivant une douce musique qui résonnait en écho dans mon sommeil.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant