Œdipe reine.

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          J'ai un souvenir qui s'est ancré dans ma tête pour ne jamais en sortir. Il refait surface, accompagné de l'écho des notes d'un orgue qui glissent entre les murs froids de l'église.

            Je marchais le long du couloir, les dalles du sol étaient froides. Les mains jointes sur ma poitrine, j'avançais doucement, et la robe blanche que je portais me caressait les mollets.

            Les murs étaient décorés d'ornements en or, de vieilles peintures craquelées de scènes religieuses. Des statues d'homme et de femmes regardaient le plafond avec un air de pitié. Sur les bancs, on m'observait avec douceur. Je vis, non loin de là, mes parents me sourire.

            Nous chantions, l'orgue nous enveloppait dans une musique harmonieuse. Je restai muette, observant mes alentours.

            Je ne savais pas ce que je faisais, ni où j'allais, alors que je suivais d'autres enfants tout habillés de blanc. Je m'en rendis compte lorsqu'une femme m'ordonna d'aller m'assoir, et que sans réellement me poser de questions, je fis ce qu'elle me demandait.

            J'écoutais ce qui se disait. Toutes ces bonnes paroles que tant de fois j'avais entendu. Comme si on nous y avait préparé, pour qu'un jour on s'en imprègne pour ne jamais l'oublier. - et jamais y réfléchir.

            Ce ne fut pas mon cas. Je n'écoutais pas ce qui se disait, mon esprit divaguait ailleurs. Mes yeux se posaient sur les vitraux et les rosaces colorés que la lumière de l'extérieur transperçait. Je ne sais pour quelle raison, mais tant de couleurs et de formes me laissèrent bouche bée. Mes petits yeux transparents restaient rivés sur ces dessins, suivaient les formes et les étoiles qui brillaient.

            J'écoutais les paroles d'un homme habillé en blanc sans y réfléchir. C'étaient de simples mots qui s'échappaient d'entre ses lèvres et auxquels je ne donnais aucune signification. J'observais les autres enfants. Ils étaient tous là, comme moi, assis et patients. Mais quelque chose dans leurs yeux me perturbait. Ils avaient l'air rassurés : par ce qui se disait, par l'image de leurs parents. Par la musique qui faisait trembler la façade de l'église.

            C'était cette indifférence qui nous différenciait. A l'égard des choses, de leur signification. J'étais encore petite, mais je me rendais bien compte que les choses m'échappaient. Et que lorsque j'essayais de les prendre en main, elles se glissaient entre mes doigts pour disparaître à jamais, inatteignables. Oui, j'aurais pu m'en foutre, de cette fumée transparente dans laquelle je vivais et que mes mains transperçaient dès qu'elles essayaient de la toucher.

            Cette question que si souvent je me posais, me vint à l'esprit, et cette fois-ci, m'effraya encore plus que d'habitude. Mes yeux étaient restés fixés sur les rosaces des murs qui m'engouffraient dans leurs couleurs. « Que fais-je ici ? ». Elle semblait tellement banale, et je fus prise d'une soudaine angoisse lorsque, observant ces images qui me submergeaient, qui semblaient m'aspirer, je me sentis comme transportée dans un autre univers. 

            Je n'avais aucune réponse à me donner. Je n'avais rien à me dire. Ni pour me rassurer, non plus qui puisse m'effrayer. J'étais ignorante, je ne savais pas.

            Déjà petite, j'étais consciente à quel point j'étais perdue dans cet univers dont tout semblait tellement évident, mais qui cachait dans ses entrailles des questions et des mystères dont la solution était introuvable.

***

            Je croisai Alice dans les couloirs de la bibliothèque universitaire de la ville. Lorsque j'aperçus les cernes qui creusaient ses joues et qui bouffaient les étincelles de ses yeux, mon désir s'envola.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant