L'homme invisible.

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« Je suis de la génération qu'on émascule à la naissance, de la génération des enfants rois, enfants objets, enfants produits, enfants drogués, junkies infantiles qui arpentent chaque jour les rues de la ville. »

Isabelle Sorente, L.

   Je détestais cette sensation d'avoir des regards portés sur moi. Celle d'attirer l'attention, d'être vue et entendue ; d'être le singe d'un cirque ou le clown d'un spectacle. Ces petits yeux qui me jugeaient, m'observaient dans les moindres détails de mon corps et de mon visage, qui remarquaient les plus petits défauts et mes plus grands problèmes, m'effrayaient. Je haïssais me dévoiler comme ça. J'avais l'impression d'être faible et fébrile, une brindille soumise à un vent fort et violent. L'envie soudaine de disparaître m'envahissait de toutes parts ; celle de n'être rien d'autre qu'un grain de poussière, perdu dans l'Univers.

                J'ai – sans faire exprès -, bousculé Hugo dans les couloirs de la faculté. Le destin semblait nous réunir. Mes cahiers, que je tenais entre mes bras, s'envolèrent, virevoltant entre des feuilles de notes et des stylos. Dans un mouvement de panique, je me baissai pour tout ramasser. J'avais vu les yeux en amande de Hugo, et ses longs cheveux sur ses épaules, ainsi que son visage d'ange semblable à celui de Keanu Reeves dans sa jeunesse, et j'avais donc tout fait pour éviter de croiser son regard. Le rouge me monta aux joues, je préférais fixer le sol et rester accroupie en ramassant mes feuilles.

                « Désolé Hélène...Décidément, on se rencontre toujours de cette manière ! Comment ça va ? », et il se baissa à mes côtés pour m'aider.

                Je soupirai, prête à répondre, avant de le regarder avec un sourire embarrassé.

                « Bien...Enfin, ça pourrait aller mieux.

                -Tiens. -Il me tendit une liasse de papiers froissées-. Voilà, ne t'inquiètes pas. Tu peux réviser tranquillement ce soir ».

                Tanguy passa à nos côtés. Il nous observa longuement, un air amusé sur son visage. Puis, sa voix nasillarde s'éleva dans le couloir. « Oh, les retrouvailles ! » lança-t-il avant de s'esclaffer avec ses camarades. Tous les yeux se rivèrent vers nous, et j'essayai de calmer la honte qui me submergeait.

                « D'ailleurs, je commençai. Qu'est-ce que tu fais ici ? Je veux dire...T'étais pas en médecine ?

                -Je me suis reconverti. La médécine, c'est pas fait pour moi. Mes parents ont préféré me sortir de cet enclos plein de seringues et de médicaments avant que je perde une année de ma vie à ne rien faire. Donc je suis ici, en fac de langues.

                -Ah, je vois », dis-je en essayant de me cacher des regards environnants. Sans savoir quoi dire de plus, je fixai mes cours.

                « Bon, et bien...

                -Je dois y aller, je le coupai. Voilà, je...Je dois partir. Désolé Hugo, à plus ».

                Je m'éloignai au plus vite, alors qu'Hugo me lançait un timide « D'accord, aucun souci » dans mon dos.

                Je me souvins en quelques secondes de cette malheureuse soirée ou l'alcool avait eu raison de moi. J'eus l'image d'une Hélène embrassant langoureusement, sous le regard d'une vingtaine d'autres étudiants, un Hugo chancelant.

                Je haïssais sentir les regards fixés sur moi. Et pourtant, lors de cette soirée, j'avais tout fait pour me sentir observée. « Bon sang Hélène, t'es cinglée, parfois », me dis-je à moi-même, et je disparus de la vue de Hugo au plus vite.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant