Épilogue.

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« Souris, un instant.

-Pourquoi?

-J'aime bien voir tes lèvres s'étirer. Elles brillent tendrement, c'est tout doux ».

Je l'avais fait, un petit rire s'était échappé de sa gorge tandis qu'elle se tortillait entre les draps blancs. La chambre était obscure, seuls des points blancs qui pendaient au mur brillaient d'une lueur faible. Le vieux tourne-disques grésillait comme à son habitude, Love my way de The Psychedelic Furs. Elle murmurait les paroles en silence, entre ses doigts la cigarette dont l'embout orange brillait, la fumée entourait les traits de son visage. Mes doigts caressaient sa peau, parfois allaient jusqu'au seul sein nu qui n'était pas caché par les draps. 

« Comment tu fais ? lui dis-je, - et mes mots se fondaient avec la musique. Alice me regarda en fronçant les sourcils, confuse-. Tu m'avais dit ce soir-là que tu n'avais peur de rien. Je voudrais savoir comment avoir ton audace.

-Mon audace se confond avec ma bêtise».

Je m'étais redressé sur mon coude, étonnée. « Comment ça ?» lui avais-je demandé. Alice avait souri, avalant une bouffée de fumée. Elle secouait doucement la tête.

« Promets-moi quelque chose. -Elle a attendu quelques instants, peut-être car l'ampleur de ses mots étaient encore à mesurer. Puis ses lèvres entrouvertes ont prononcé ces mots :- Hélène, promets-moi que tu sauras être assez forte un jour pour arrêter d'être audacieuse. Tu n'es pas invincible et la seule chose dont tu as besoin, ce sont les autres. Promets-moi que tu retrouveras chemin si tu te perds comme moi.

-Tu es perdue ?

-Ça fait des années que j'erre dans les plaines solitaires et arides de ce monde. Bordel, ça fait des années que je suis morte ».

Ces mots étaient durs, mais surtout, tintés d'une conscience absolue, d'une lucidité que jamais je n'avais perçue en elle auparavant. Ce n'étaient plus des paroles en l'air qu'elle me lançait en riant comme si rien n'en dépendaient et qu'elles n'avaient aucune incidence. Non, ces mots, Alice voulait vraiment me les adresser. Elle voulait que je les écoute attentivement.

Ses yeux bleus cristallins avaient plongés dans les miens. Je ne sais plus combien de temps nous nous sommes regardées, mais j'ai cru voir briller une étincelle dans sa prunelle. Un point brillant, incandescent et immaculé. J'ai mordu l'intérieur de ma joue.

Ces mots s'étaient échappés d'entre ses lèvres roses.

« Merci» , m'avait-elle dit ce soir-là.

Merci parce que tu m'as sauvé dans cette descente aux enfers.

Merci, parce que ma mort, préméditée, qui devait nécessairement arriver depuis tant de temps, est plus douce grâce à tes yeux.

Alice avait tourné la tête, déposant sa cigarette sur ses lèvres, et avait continué à rêver comme elle le faisait habituellement, me laissant avec cette seconde de lucidité, de sincérité. Cette seconde où Alice avait ressuscité. 

***

C'était peut-être la brise du soir, celle qui glissait contre notre peau. Ou alors le murmure des vagues qui nous berçait alors qu'elles s'écrasaient contre la falaise à nos pieds, et les postillons d'écume qui venaient entacher nos vêtements.

Elle était donc là, ma réponse. Sous mes yeux, éberlués. Entre ces astres lumineux.

Elle était là, la vie. Inconnue, inaccessible, tellement mystérieuse qu'elle en devenait magnifique.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant