Miroir rouge.

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«À l'age adulte, l'amitié se construit sur une forme de reconnaissance, de connivence: un territoire commun. Mais il me semble aussi que nous recherchons chez l'autre quelque chose qui n'existe en nous-même que sous une forme mineure, embryonnaire ou contrariée. Ainsi, avons-nous tendance à nous lier avec ceux qui ont su développer une manière d'être vers laquelle nous tendons sans y parvenir».

Delphine de Vigan, D'après une histoire vraie

           

Il régnait dans la salle de théâtre de la faculté une ambiance particulière. Cette salle, c'était le lieu où tout finissait par s'arranger, où tout finissait par se dire, où tout se révélait.

Je suis sortie de cours en trombe, mes cahiers sous mes bras. On entendait mes chaussures claquer sur le sol des couloirs vides de la faculté. J'ai traversé plusieurs salles, avant d'arriver enfin dans cet amphithéâtre où, face à une centaine de chaises, une scène surélevée se dressait, illuminait par un néon à la couleur criarde.

Lola était déjà là, assise sur l'une des chaises, des papiers entre les mains et un stylo entre les lèvres, qui tanguait comme une cigarette. Je me suis assise à ses côtés, remettant mes cheveux en place derrière mon oreille.

« Enfin, lança-t-elle. Je pensais que mon assistante de réalisation n'allait jamais arriver ».

Elle avait tout préparé pour que les acteurs soient dans les meilleures conditions que possible. Pour « dire ce qu'ils ont à me dire », avait ajouté Lola en s'asseyant sur l'une des chaises, lisant son scénario entre les lignes.

« Beaucoup de monde t'a contacté, dis-je en lisant une vingtaine de noms écrits sur l'une des feuilles qu'elle tenait entre ses mains.

-Oui, c'est étonnant. Mais bon, je suis sûre que la moitié ne va pas venir. J'ai croisé beaucoup d'entre eux dans les couloirs ces derniers jours : lorsque je leur ai expliqué ce qu'il fallait faire, ils ont grimacé...

-Ils ne savent pas ce qu'ils perdent ».

Lola avait ri nerveusement ; elle était sûrement angoissée. Je l'ai laissé dans son monde, préparant ses papiers. Elle me parlait de son scénario, des scènes qu'elle avait préparées, lorsque soudainement, on entendit la porte de l'amphithéâtre s'ouvrir en un grincement qui résonna dans toute la salle. Une silhouette vint vers nous, d'un pas nonchalant. Toute paniquée, Lola se leva, me demanda « est-ce que j'ai l'air d'une véritable cinéaste ? » je lui avais dit que oui en riant, et elle fut rassurée.

J'avais déjà aperçu ce garçon dans les couloirs. J'ai regardé rapidement les noms écrits sur la feuille de Lola, et je remarquai qu'il s'appelait Victor. Il marchait maladroitement, reposant ses lunettes sur son nez et passant une main sur ses cheveux décoiffés. Lorsqu'il fut en face de nous, je vis dans son sourire une gêne discernable.

« Salut, me lança-t-il en levant sa main. -Je lui retournai un sourire-. C'est ici pour heu...Le casting ?

-Oui ! lança enthousiaste Lola en lui tendant la main. Alors c'est simple...Tu vas me faire un monologue, sur ce que tu veux, sur ce que tu sens. Je te laisse faire, tu dois pénétrer dans ton propre univers. Je veux voir qui tu es, ce que tu vaux, ce que tu as à me dire, d'accord ? »

Elle était très professionnelle dans ses mots et ses gestes, surtout lorsqu'elle se frotta les mains, se tortilla sur sa chaise, lançant un « c'est parti » à l'adresse de Victor.

Ce dernier se dirigea d'un pas peu ferme vers l'estrade. Il se place sous la lumière des néons ; je pouvais discerner les traits tendus de son visage. Sans plus tarder, il se racla la gorge, soupira, ferma les yeux. Puis, il commença à parler d'une voix plutôt monotone.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant