Je ne crois pas qu'elle ait pleuré. Elle contenait sûrement sa rage dans ses yeux engourdis, ses lèvres macabres. Son pas se faisait de plus en plus lourd, teinté d'une certaine violence, comme si elle voulait fissurer le sol à ses pieds. Ses ongles mordus menaçaient ses alentours. Elle allait droit de l'avant, sachant ce qu'elle allait faire - sûrement ce qui allait se passer ensuite-. Elle fonçait vers la décadence, grattant sa peau jusqu'à la faire saigner pour apercevoir des os pointus. Elle était consciente. À moitié ; aveuglée par la rage, l'amour peut-être. La haine, aussi (envers qui, elle ou bien moi, je n'en sais rien).
On l'avait vue s'enfermer dans les WC. Fermer la porte violemment, les joints avaient tinté au sol. Derrière celle-ci, ornée de ridicules graffitis confectionnés au feutre, impossible de savoir ce qui se passait ensuite. Des bruissements, gémissements -quelques sanglots de temps en temps, que l'on confondait peut-être avec des plaintes de douleur profonde et de colère-, s'entendait parfaitement. On s'imaginait la scène, comme je le faisais à cet instant précis.
Je la vis, d'un geste assuré pourtant, tant de fois l'avait-elle fait en souriant. Je la sentis, prendre sur son index le poison blanc aux allures de poudre magique. Ou alors, cette veine qui jaillit sur son bras et qui l'appelle, qui lui murmure de doux mots. Orgasme, chaleur, lourdeur, satisfaction. Une injection, une simple respiration rapide, puissante. Elle renifle, elle touche son bras, une petite goutte de sang coule et s'écrase au sol. C'est le signal d'alarme.
Elle se sent partir, elle frappe à la porte. Elle a mal dans son corps, au cœur, ses bras lourds, son nez pique très fort. Ses jambes flageolent, elles ne tiennent plus. Mains tremblantes, sa voix le suit. Des mots sortent d'entre ses lèvres, ils s'éteignent doucement. « À l'aide », elle semblait dire. La porte s'ouvre en trombe, des paires d'yeux la regardent. Soudain, bruit lourd : elle tombe au sol, inconsciente, s'effondre, son crâne heurte le sol, ses bras convulsent avant de se désarticuler, inertes.
On crie à l'aide, on va la voir, elle a les yeux révulsés, les lèvres et le bout des doigts noirs. Overdose, on crie. Putain elle a fait une overdose. A-t-on vu la poudre empoisonnée ou la seringue assassine. Peut-être rien de tout ça. Quelques minutes après, les médecins arrivaient.
On avait retrouvé dans le corps d'Alice des traces d'opiacés, de médicaments, antidépresseurs ou somnifères, relaxants, toutes sortes de merdes, en quantité importante. Son corps n'avait pas résisté. Ses derniers mots, incompréhensibles, qu'elle avait pu prononcer avant de s'effondrer, ils étaient effrayants tellement ils étaient dénués de sens.
Elle avait passé quarante-huit heures à l'hôpital. La seule chose que je savais, c'est qu'elle était vivante ; mais, sans aucun doute, Alice avait frôlé la mort.
C'était de ma faute. Non.
C'était de sa faute, à Elle.
Dans le miroir, j'observais son reflet. Elle était là, comme toujours. Les traits de son visages illuminés par un néon blafard. Confiante, souriante, elle me fixait avec des yeux brillant de malice.
« Tu t'en rends compte...Bordel, tu as vu son visage ? j'ai commencé d'une voix morose. Ses yeux, ses lèvres noires ? Tu te rends compte de ce que tu as fait ? - mes phalanges blanchissaient, je serrais mes poings.
- Elle a failli mourir, Hélène. Ce n'était pas précisément ce que tu voulais ?
- Comment ça ? »
Sa main, douce et brillante, s'était posée contre le miroir, laissant une trace de buée dans le reflet scintillant. Je fronçai les sourcils : ma paume s'était déposée au même endroit, suivant ce mouvement, et elle se plaçait exactement au même endroit.
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Oedipe reine
RomanceHélène a toujours rêvé d'être quelqu'un d'autre, s'imaginant dans un corps étranger. Elle voudrait être cette silhouette qu'elle voit et observe autour d'elle, celle qu'elle aperçoit parfois dans ses rêves les plus profonds. Oui, Hélène voudrait êt...