Statufiée au milieu de mon salon, mon idée suit son chemin. Pendant plusieurs secondes, ou peut-être plusieurs minutes, se forment dans mon esprit un mélange de lignes, de matières et de formes. Je suis spectatrice de ce qui se trame dans les tréfonds de mon cerveau. Et j'attends, j'attends le moment où l'image apparaitra clairement et que je pourrais enfin la reproduire. Une fois ce long processus effectué, je sors de ma transe. Emy et Marlon me regardent avec des yeux de merlans frits. On dirait qu'ils ont vu un fantôme. Ils sont à mourir de rire, la bouche ouverte et les yeux grands ouverts. Je ne peux retenir un immense fou-rire. Des semaines que je n'avais pas ris. Ça a le mérite de sortir mes amis de leur stupeur. Ils accourent vers moi, l'air affolé.
— Ça va Maïa ? Qu'est-ce-qui t'arrive ?
Ca c'est Marlon.
— Maïa ? Putain ne me dit pas que tu as repris de la cocaïne ???
Et ça, c'est Emy. Dans toute sa splendeur.
— Euh, ben non ... Juste je ris quoi...
Devant leur moue interrogative, je ne peux m'empêcher de rire à nouveau. Ça alors ! Ils ont flippé parce que j'ai rigolé ? Bon, pour leur défense, j'ai été une vraie plaie, mais je ne pensais pas à ce point.
Ils se regardent et en haussant les épaules, Emy lance à Marlon :
— Elle rit... putain elle rit !
Elle semble le réaliser en même temps qu'elle le dit et s'en suit un fou rire en chaîne. Il nous faut quelques minutes pour reprendre notre souffle et notre contenance. Remise de mes émotions, je me reconcentre et me remet enfin à parler.
— Je vais bien. Je sais, tu ne vas rien comprendre, mais juste fais-moi confiance s'il te plaît, ok ? J'ai besoin là, tout de suite de calme. Vraiment.
— Euh, Maïa, je veux bien mais...
Je grimace. Bien sûr qu'elle ne me fait plus confiance, j'ai tenté de mettre fin à mes jours presque sous ses yeux et cela fait un mois qu'elle a dû prendre un congé d'indisponibilité au boulot pour s'occuper de moi. Je ne peux pas lui en vouloir.
— Emy, je te jure, tu peux me faire confiance.
— Pas de drogue ? Pas de sexe ? Pas d'alcool ?
Je réponds d'une négation de la tête à chacune de ses questions.
— Ok, mais on ne quitte pas l'appartement.
— Ok, mais promets-moi le silence.
On se tape la main en guise de promesse. Les choses sérieuses peuvent commencer.
Tous les automatismes se remettent en marche, tout ce rituel que j'ai toujours eu avant chaque phase créative, tout se met en place. Je rejoins ma chambre et enfile un legging confortable ainsi qu'un débardeur ample. Mes cheveux sont noués en chignon imparfait au-dessus de ma tête. Chaque geste est calculé, chaque action intervient dans un ordre précis. C'est une chorégraphie rythmée, calée au millimètre près. Et pour la première fois, j'ai des spectateurs, impatients de découvrir le ballet que je vais leur improviser. Je deviens une machine de travail.
Je me rends dans mon atelier et revient au salon avec ma tablette graphique professionnelle. Je pousse la table basse afin d'avoir de l'espace entre le canapé et le meuble télé. Dans le caisson au-dessus, j'actionne la manette qui déclenche l'ouverture de l'écran de projection. Il se déroule lentement tandis que la tablette démarre. J'en profite pour jeter un coup d'œil aux deux acolytes qui semblent de plus en plus surpris. D'ailleurs je crois que jamais je n'ai vu Emy si souvent stupéfaite. Je vois bien que me poser des tonnes de questions la démange mais elle tient bon sa promesse. Je lui souris pour la rassurer et me retourne vers l'écran blanc. Le travail va commencer. Pour m'encourager, je lance un « nouvelle collection Cappeone à nous deux ! » Ça aussi c'est un rituel. J'ai fini par croire que ça portait bonheur à l'entreprise.
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LA DANSE DE L'AMOUR
Romance" De l'amour de la danse à l'amour il n'y a qu'un pas". Jane Austen Jusqu'à aujourd'hui je n'avais pas compris ce que cette phrase voulait dire. Le grand Amour je l'avais déjà trouvé. Le grand Amour amical aussi. La passion vive pour la danse aussi...