Chapitre 17: En mode Off

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Samedi 7 octobre.
Appartement de Maïa.
Bonneveine, Marseille.

Je suis de retour dans mon appartement après quatre jours d'hospitalisation. D'après le psy qui m'a suivi, me retrouver dans mon environnement familier ne peut être que bénéfique à ma santé mentale. Il faut dire que je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Je n'ai toujours pas ouvert la bouche. Comme si le cerveau et les cordes vocales avaient été déconnectés. Spectatrice de ma vie actuelle, je me laisse porter par Émy. Mon esprit est sur pause et qu'est-ce que ça fait du bien ! La seule chose qu'il m'arrive de ressentir c'est la fatigue. Depuis mon retour je dors 20 heures sur 24. Je mange de la main d'Emy ou de son meilleur ami, je suis lavée comme un bébé et bordée comme une enfant. Même la présence de Marlon ne m'atteint pas. J'ai perdu toute capacité à ressentir. Finalement si je devais mettre des mots sur moi-même je dirais qu'actuellement je ne suis qu'une coquille vide, sans âme. Celle-ci vagabonde encore dans un brouillard épais. Et tant que celui-ci ne se seras pas dissipé je végète. Je discerne l'inquiétude d'Emy et de Marlon. Elle me parle comme elle l'a toujours fait, suivant les conseils du médecin. Quand elle doit sortir, Marlon prend le relais. Il est à mes petits soins. Et pourtant, ça ne me touche même pas. Je sais qu'au fond de moi je lui en veux toujours énormément. Il en va de même la nuit. Même si je suis assommée de médicaments pour dormir, ils alternent chaque soir pour dormir à mes côtés. J'ai trompé leur vigilance une fois, pas deux. Et je ne peux pas leur en vouloir pour ça, je reconnais que j'ai dû leur foutre une sacrée trouille. Comme quand j'étais dans le coma, c'est presque un réflexe automatique quand je vois Émy, il faut que je me sorte de là. Je dois gagner ce combat. Et croyez-le, il n'y a pas pire bataille que celle contre soi-même.

☆☆☆

Depuis quelques jours, j'ai l'impression que ma conscience reprend du service. Émy a répondu plusieurs fois à Maho expliquant mon état mais je commence à culpabiliser de m'absenter et surtout de lâcher complètement le boulot. Mais je ne suis pas encore totalement prête, et ce malgré moi. J'ai besoin de dire à Émy combien je l'aime, que jamais je ne pourrais la remercier de tout ce qu'elle fait pour moi. Et j'ai envie d'envoyer chier Marlon ! Avec ses petits « j'ai besoin de toi » ou ses « tu me manques » il m'horripile à un point ! Je pense que l'envie de le castrer une bonne fois pour toute devient tellement pressante qu'il va falloir que je sorte de mon mutisme et de ma léthargie !

☆☆☆

Mardi 24 octobre.
Appartement de Maïa.

Attablée au comptoir de la cuisine, je regarde ma meilleure amie en pleine discussion avec Marlon. Mes lèvres s'étirent doucement. Il doit être à peine 9 heures du matin, qu'elle est déjà à fond ! Aujourd'hui, ça fait trois semaines que j'ai tenté de mettre fin à mes jours. Et malgré des progrès infimes, je ne suis pas encore là.
Comme à mon habitude depuis ces dernières semaines, mes yeux naviguent partout dans cet appartement que je connais désormais par cœur. Les deux mains autour de ma tasse de café brûlant, mes pensées s'éparpillent de nouveau. Que va encore m'inventer Émy pour tenter de me faire réagir ? Je dois dire qu'elle ne ménage pas ses efforts et redoublent de créativité.

Ma réflexion est coupée par un encart textuel sur un de ces torchons people que lis Émy. « Cappeone : le début de la fin ? » Discrètement je ramène le magazine vers moi, et le feuillette jusqu'à la page qui m'intéresse. L'article est nul, sans fondement et basé sur des spéculations néanmoins ils ont le mérite de s'inquiéter du sort de la maison haute couture. Une boule d'angoisse serre ma gorge et je me lève récupérer le pc portable d'Emy. L'inspecteur Labelle n'a rien raté de mon manège et se précipite sur moi.

— Maïa ça va ? Tu es là ? Marlon regarde elle s'est levée d'elle même !

J'acquiesce d'un léger mouvement de tête et ouvre une page Google.

— Maïa tu as besoin de quelque chose ? Je peux t'aider ? Qu'est-ce que tu cherches ?

Super j'ai réussi à angoisser ma meilleure amie rien qu'en me levant ! Je cligne des yeux comme pour la rassurer et met le doigt devant ma bouche pour lui expliquer mon besoin de silence. Compréhensive, elle pose sa main sur mon avant-bras et me sourit tendrement.

— Si tu as besoin je suis là.

Marlon ne peut s'empêcher de me fixer dans les yeux et de marmonner dans sa barbe :

— Ouais moi aussi je suis là pour toi.

Excédée, je baisse les yeux vers l'écran. Je ferme et les yeux et prend une grande inspiration avant de taper sur le clavier « Maison Cappeone ». Je clique sur actualité et je prends peur. Une trentaine d'articles datant de plus ou moins 2 semaines apparaît.

« Liquidation judiciaire pour Cappeone ».

« Le capitaine a déserté, le navire prend l'eau ».

« Quasiment un mois de retard sur le lancement de la nouvelle collection, mais que fait Cappeone ? ».

Les titres sont évocateurs mais je ne peux m'empêcher d'aller lire le contenu. Ils disent tous plus ou moins la même chose et confirment tous qu'aucun salarié n'a pu leur transmettre des informations tant ils étaient eux-mêmes dans le flou. Émy me frotte les épaules en guise d'apaisement, elle a remarqué ma panique.

— Ce n'est rien Maïa, ne te stresse pas avec ça, tu es la meilleure chez eux mais tu n'es pas indispensable. Les patrons ont qu'à se bouger le cul aussi ! A croire qu'un seul être leur manque et tout est dépeuplé !

Elle essaye par l'humour de me rassurer, mais l'effet est tout l'inverse.

Mécaniquement, je me lève et récupère ma tablette professionnelle rangée dans le tiroir de ma table de travail. Trois semaines que je ne l'ai pas allumé. Le sablier qui tourne pendant le démarrage me stresse. J'ouvre l'application des emails et constate avec effarement une centaine de mails, principalement de Maho. Le dernier date d'il y'a tout juste une heure.

De : Maho < maho.yuan@cappeone.fr >
A : Maïa < maïa.fortini@cappeone.fr >
Le : 24 octobre
A : 7h59

Re-bonjour,

Maïa c'est la merde ! Pardonnez mon langage.
Je fais quoi ? Je ne sais plus quoi faire Maïa ! Il faut que vous me rappeliez ! C'est le chaos ici, j'ai besoin de vous, nous avons besoin de vous.
Cordialement.
Maho Yuan.
Département création, Maison Cappeone.

Putain c'est la merde ! Je ne peux pas rester comme ça à rien faire ! Je l'ai toujours dit, Cappeone c'est ma maison, c'est ma vie ! Après avoir éteins et rangé ma tablette, je tourne en rond. Ou plutôt je fais les cent pas sur mon superbe tapis imitation carreaux de ciment qui m'a coûté un œil. Je réfléchis tellement que mon esprit est à des kilomètres de Marseille, à tel point que je ne remarque même plus Émy et Marlon.

Et puis enfin, l'heure est venue. Le moment de la révélation est arrivé. Le gong qui sonne le glas de la période sombre. L'idée lumineuse, l'éclair de génie. Celui qui va sauver Cappeone, celle qui va me sauver de moi-même.


LA DANSE DE L'AMOUR Où les histoires vivent. Découvrez maintenant