Chapitre 17

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We all want to prepare you, the unbelievable is going to happen (...)
triggering the unconscious power



Difficile d'expliquer cette soudaine négligence dans une ville de la taille de Bridgeville, prompte à remarquer les micro-phénomènes : peut-être que l'orage avait désorienté tout le monde, peut-être que chacun était trop absorbé par ses propres soucis. Toujours était-il qu'on mit deux jours à s'apercevoir de l'absence incongrue de Kay.


Belle avait finalement mis la main sur Devlin et ils avaient convenu de se réunir le vendredi matin au Little Birdie, afin de discuter de ce qui était en train de devenir leur enquête commune. La serveuse venait de déposer un café au lait devant le marshal lorsque ce dernier reçut un message de Belle : elle serait en retard. Devlin rangea son téléphone et remercia aimablement la serveuse, qui en rosit de plaisir. Elle passa d'un pas sautillant à la table suivante, où avaient pris place trois hommes d'une vingtaine d'années qui parlaient fort depuis leur arrivée. Le marshal s'enfonça dans la banquette moelleuse en savourant un instant les effluves corsées de sa boisson. Qu'est-ce qu'il fichait, franchement ? Pourquoi est-ce qu'il ne rentrait pas chez lui ? Ici, personne ne lui demandait le moindre compte. Est-ce qu'il se servait de Bridgeville pour ne pas avoir à affronter ses collègues, son quotidien, sa vie ?

Il regardait sans la voir la serveuse qui prenait les commandes et faisait volte-face, mais la claque sonore que l'un des types assena sur les fesses de la jeune fille le ramena brusquement à la réalité. Il fronça les sourcils et l'employée se raidit, son visage se marbrant de rouge. Elle prit une inspiration et se retourna vers les trois hommes qui observaient sa réaction avec des sourires crétins.


— Je vous prierais de pas faire ça, lâcha-t-elle, l'air essoufflée.

— Pourquoi pas ? demanda nonchalamment celui qui s'était permis ce geste.


Les autres ricanèrent et Devlin posa son café.


— Parce que c'est interdit dans mon bar.


Chief avait lancé ça depuis le comptoir, derrière lequel il rangeait de la vaisselle en compagnie de sa femme, mais sa voix avait porté sans difficulté jusqu'à eux sans même donner l'impression de lever le ton. Ce fut de son habituelle démarche tranquille qu'il vint à leur rencontre et se posta à côté de son employée toujours rouge d'humiliation. Son sourire affable semblait identique à celui qu'il arborait d'habitude, mais ses yeux ne pétillaient pas. Devlin reprit sa tasse de café sans lâcher la scène des yeux.

Les trois types ne devaient pas être très observateurs, puisqu'ils prirent la bonhomie de Chief pour un signal de faiblesse. Celui qui avait parlé jusqu'ici et qui semblait être la pointe dominante du triangle des imbéciles, sûr de son pouvoir de client, se cala dans sa banquette avec un petit sourire arrogant.


— Qu'est-ce qui est interdit dans ce bar, vieux, de poser ma main où je veux ? Ou de draguer ?

— C'est un bar ou une église ? renchérit un autre.


Chief leur adressa un sourire indulgent, comme s'il trouvait ça amusant. Mais dans ses yeux subsistait un avertissement que ses interlocuteurs ne percevaient toujours pas. Il attendit qu'ils aient fini de s'esclaffer pour se tourner vers la jeune fille :

Les Échos du bayouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant