Chapitre 7 - Repas

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Junhong décide d'appeler les pompiers. L'homme sur le sol est pris de violents tremblements. Le garçon cherche un téléphone dans tous les recoins possibles, mais Yongguk ne semble pas en avoir, pas même un téléphone portable. Voilà encore quelque chose d'étonnant: il n'y a pas moyen de communiquer avec l'extérieur. Il y a bien un ordinateur dernier cri dans sa chambre, mais pas de connexion internet.

Junhong se rend alors à l'évidence: il va devoir s'occupper de son propriétaire tout seul. Il va chercher de quoi bander les bras en piteux état de l'homme sur le sol, et retourne non sans peine Yongguk sur le dos pour le soigner. Après avoir fait ce qu'il a pu pour les avants-bras de Yongguk, il le porte avec beaucoup de difficulté jusque dans le lit le plus proche, celui de la chambre d'amis.

Épuisé par l'effort, car, contrairement à son propriétaire, il n'a pas vraiment l'occasion de se muscler, Junhong retourne dans la cuisine se faire cuire du poulet après avoir remis en ordre chaises, couteaux et autres objets balancés par Yongguk dans sa colère.

En dégustant son premier repas depuis le sandwich à la sardine de la veille, Junhong a tout son temps pour repenser aux événements.

Récapitulons: je me suis fait acheter et emmener par un fou qui vit dans la forêt. Il me prend à moitié pour son ex, il a failli m'étrangler, ensuite il m'a préparé un sandwich qu'il m'a fait avaler de force et qu'il m'a regardé vomir. Après, il me prend dans ses bras, et il me montre des dessins de Himchan et de corps humains qu'il peint avec son sang, puis il me demande de l'aider, il me viole, il me dessine avec son sang, il pète un plomb et moi je m'occuppe de lui. Tout va bien, rien de plus normal.

Bien que son dernier vrai repas remonte à des lustres, le garçon est vite rassasié, car il n'a jamais eu l'habitude de manger beaucoup. Il reste assez à manger pour quelqu'un d'autre, et, puisque Yongguk a bien besoin de reprendre des forces, Junhong emporte les restes avec un verre d'eau dans la chambre d'ami. Il dépose le tout sur la table de chevet et se prépare à repartir, mais il s'aperçoit que son maître tremble toujours très fort bien qu'il soit sous la couette depuis un moment.

Hésitant, Junhong se rapproche lentement et s'asseoit sur le lit. Cela n'est sûrement pas normal, mais il se sent quelque part responsable de Yongguk. Conscient qu'il ne devrait pas tant aider la personne qui le maltraite, il se glisse dans le lit et prend dans ses bras le corps glacé de son propriétaire. Il se demande pourquoi il fait cela, il se dit que c'est stupide d'avoir pitié d'un homme si dangereux. Pourtant il ne sort pas du lit et s'y endort quelques minutes plus tard.

Vers 15 heures, Junhong se réveille, toujours collé à Yongguk, qui semble avoir retrouvé une température normale. Il se dit qu'il vaudrait mieux sortir de là avant le réveil de son propriétaire et tente de s'en éloigner progressivement, mais l'autre ouvre lentement les yeux, dérangé par les mouvements de son esclave. Plein d'espoir, il murmure d'une voix endormie:

- Himchan?

- Euh... non...

Le regard déçu avec lequel il fixe un point indéterminé dans le vide réussit presque à attendrir Junhong, mais il se ressaisit vite et lâche Yongguk pour s'asseoir sur le lit.

- Je t'ai... euh, pardon... je vous ai laissé du poulet.

Sans répondre, l'homme se redresse en position assise et s'empare de l'assiette que Junhong lui tend. Il commence à manger sans un mot, les yeux ancrés à ceux du garçon qui, comme hypnotisé, n'arrive pas à détourner le regard. Pour détendre l'atmosphère étrange, Junhong décide de prononcer la première banalité qui lui passe par la tête:

- Ça doit être froid, dit-il en pointant la nourriture.

- Ch'est pas 'rave, lui répond l'autre la bouche pleine.

Après ce bref échange, un silence pesant se réinstalle, seulement interrompu par les bruits de mastication de Yongguk. Junhong se demande pourquoi il reste là à regarder l'homme assis en face de lui sur le lit. Il se dit qu'il n'y a pas vraiment d'intérêt à regarder son propriétaire en train de mâcher du poulet, mais étrangement, il n'arrive pas à se motiver pour se lever, trop occuppé à admirer l'autre homme qu'il ne trouve pas désagréable à voir.

Attends, est-ce que je viens de penser qu'il est beau? Mais ça va pas! Ressaisis-toi Junhong... pense-t-il après deux bonnes minutes à observer la manière dont les muscles des bras de Yongguk se contractent lorsqu'il porte la nourriture à sa bouche. Pour passer à autre chose et effacer ces idées tout sauf raisonnables de sa tête, Junhong tente de nouveau, timidement, de faire la conversation:

- Euh... par rapport à tout à l'heure... vous avez perdu du sang... est-ce que ça va?

- Oui.

- Ah... euh... c'est bien.

- Ça m'arrive souvent. Tout casser.

- C'est... moins bien.

- Ne t'occuppe pas de moi. Ce n'est pas la peine.

- Mais vous aviez l'air vraiment mal en point...

- Je ne le mérite pas.

- Mais je n'allais quand même pas vous laisser comme ça...

- Merci de m'avoir soigné. Mais ne refais plus ça.

La discussion s'achève ici. Junhong  se lève lentement, s'attendant à une objection qui ne vient pas, puis sort de la chambre. Il ne sait pas trop comment s'occupper, alors il se contente de s'asseoir dans le canapé et de laisser son regard flotter vers le plafond noir, espérant se vider la tête.

C'est tout le contraire qui se produit: les évènements des derniers jours ressurgissent dans tous les sens dans les pensées de Junhong, et ils se mêlent à des souvenirs plus anciens que le jeune homme aurait bien voulu oublier.

Juste au moment où le visage de Yongguk apparaît dans l'esprit du garçon, celui-ci fait irruption dans le salon, qui mène à la cuisine où il va ranger ses couverts et son assiette après son repas. Cela interrompt le fil des idées de Junhong. De retour de la cuisine, le maître des lieux vient s'aseoir dans le canapé avec son esclave. Pendant plusieurs minutes, ils fixent le vide. Rien ne se passe.

Junhong meurt d'envie de s'éloigner de son propriétaire, car il se méfie de ce silence bien trop calme pour être vrai. Il a peur que l'une des colères de Monsieur Bang explose et qu'il ait à la subir puisqu'il se trouve juste à côté, mais il a tout aussi peur de déclencher l'une de ces violentes colères en s'en allant sans autorisation.

Soudain, Yongguk se lève. Le jeune garçon retient son souffle, redoutant une saute d'humeur, mais l'homme passe devant lui sans lui prêter attention et se rend à l'étage. Il revient peu de temps après, en tenue adaptée pour une balade en forêt, avec un sac sur le dos, et des vêtements chauds aux mains qu'il tend à Junhong.

- Prépare-toi, on va dehors.

Esclave | BangloOù les histoires vivent. Découvrez maintenant