Chapitre 11 - Fuite

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Sur la pointe des pieds, le jeune Junhong sort lentement de l'armoire, croisant les doigts pour que les portes ne grincent pas. Il sort tout aussi prudemment de la chambre d'ami, et se dirige le plus silencieusement possible vers Yongguk, qui, le dos tourné, est affairé à rassembler ses étranges dessins. Hésitant quant à la manière d'aborder l'homme, Junhong reste planté derrière lui pendant de longues secondes. Yongguk se retourne, ce qui écourte le dilemme du jeune homme. Il est d'abord surpris, mais son expression se mue rapidement en colère.

L'homme saisit son esclave par le cou, le coince contre le mur sans bruit pour ne pas attirer l'attention de son invité, puis se penche près, très près, sans relâcher sa prise au cou de Junhong, pour lui murmurer à l'oreille:

- Qu'est-ce que tu fais là? Je ne t'ai pas autorisé à sortir! Il ne doit pas savoir que tu es là, tu dois te cacher ou tu le regretteras!

L'adolescent, qui commence à suffoquer, attrappe de sa main avec le peu de forces qui lui restent l'avant-bras de son tortionnaire, exerçant une maigre pression sur son poignet et l'implorant de son regard embué. Non sans continuer à l'étouffer en le fixant froidement pendant dix bonnes secondes, Yongguk finit par desserrer progressivement sa poigne de fer. À la place, il se sert de ses deux jolies mains pour maintenir les épaules du garçon contre le mur, s'assurant de montrer sa supériorité et son autorité à Junhong, qui reprend son souffle.

- J-je voulais j-juste vous dem-mander... quand j-je p-peux sortir du placard... parce... parce que ça fait mal partout...

- Va sous le lit alors. Et mets la couette sur le côté, qu'on ne te voie pas, répond sèchement l'homme.

- Merci Monsieur Bang...

- Tais-toi et va-t-en maintenant.

- Ou-oui.

Yongguk relâche sa prise sur les épaules du garçon, lui permettant de partir, ce que Junhong fait sans hésiter pour aller se réfugier sous le lit. Une fois bien caché, il laisse sa détresse éclater et fond en larmes. Combien de fois encore devra-t-il subir ce genre d'actes de cruauté? Pourquoi le destin semble-t-il lui en vouloir à ce point? Le jeune garçon finit par s'endormir à même le sol, épuisé par l'enfer à la fois physique et psychologique qu'il subit ces derniers jours.

Junhong est réveillé par une intense sensation de faim, la bouche pâteuse. Il commence à souffrir de n'avoir rien avalé depuis la veille. Entendant le bruit de rires ainsi que celui de la télévision, une colère désespérée monte en lui. Il regarde la télé pépère avec son pote, il se marre bien, et il me laisse pourrir ici! Je ne suis rien pour lui, je ne vaux ni ne vaudrai jamais rien, et pourtant que je le veuille ou non il est tout ce que j'ai... qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça?!

Junhong subissait d'autres douleurs à présent, le sol n'étant pas beaucoup plus confortable que le placard. Sous le coup d'un élan de rébellion, il sort de sa cachette pour aller regarder par la fenêtre. Le temps couvert ne laisse pas voir le coucher de soleil. Il fait assez sombre, mais ciel couvert ou pas, la seule vue disponible est la sombre forêt. Le jeune homme suppose qu'il doit être six ou sept heures.

Alors qu'il commence tout juste à descendre de ses grands chevaux, une idée vient à Junhong en observant le mouvement des rares feuilles restantes au gré du vent froid. S'échapper. Il lui suffit d'ouvrir la fenêtre, et il sera libre, libre! Il n'a nulle part où aller, il le sait bien, mais n'importe où vaut mieux que la maison de ce fou furieux, il en est certain.

Le garçon est fermement décidé. Il va le faire. Sa main se pose sur la poignée de la fenêtre, qu'il ouvre lentement, savourant le vent froid et son goût de liberté. Et soudain, le doute l'assaillit. À quoi bon? Où aller? Il connaît sûrement cette forêt par cœur, il me trouvera et me punira.

De plus, Yongguk semble avoir l'intention de dormir dans la chambre d'ami cette nuit. Si Junhong s'échappe maintenant, il sait que son propriétaire le remarquera au moment du coucher et se lancera immédiatement à ses trousses, car même si l'on ne peut pas qualifier la relation entre les deux hommes de saine, il est certain que Yongguk est fortement lié à Junhong, le seul compagnon à ses côtés dans son enfer psychologique.

Junhong, dépité, referme la fenêtre et s'allonge en étoile de mer sur le lit pour se morfondre en fixant un point aléatoire du plafond. Des minutes passent, puis des heures. Le cerveau du garçon se remet en marche lorsque des pas et des voix se rapprochent de nouveau.

- Je peux dormir avec toi?

- Bien sûr, pourquoi tu demandes?

Le son de la porte de la chambre de son propriétaire déchire ce qui reste des espoirs de l'adolescent. Il n'en a vraiment rien à foutre, il ne viendra pas me voir, je pourrais aussi bien crever... Junhong est convulsé de sanglots qui se muent rapidement en colère. C'est fini, il ne veut plus se laisser faire. Il se décide à rouvrir cette fenêtre et sort.

Une fois dehors, poussé par l'adrénaline, il se met à courir dans la forêt, dans le vent et la neige, sans se soucier de sa destination ni du froid glacial. Tout ce qui compte, c'est d'être enfin libre, pour la première fois de sa vie! Il peut aller où bon lui semble, personne ne lui dicte sa conduite, il n'est soumis à aucune règle, tant de possibilités s'ouvrent à lui! Et il court, court à perdre haleine, ses poumons le brûlent, ses jambes lui hurlent d'arrêter, mais il court toujours, poussé par ce vent de liberté, euphorique, écervelé, jusqu'à ce que ses jambes refusent de supporter l'effort plus longtemps.

Junhong s'effondre. L'extrême euphorie cesse aussi vite qu'elle a débuté. Il n'a nulle part où se rendre, les branches des bois semblent se refermer sur lui comme une cage, et le vent froid le frappe de plein fouet à travers ses fins vêtements. Le jeune homme se sent nu, insignifiant face au monde. Il n'est pas libre mais prisonnier de cette forêt glaciale.

À quatre pattes sur le sol, reprenant sa respiration, le garçon se sent si faible. Il va sûrement vite mourir de froid, entouré de ces maudits arbres, sans jamais avoir connu le bête bonheur d'une vie normale. Il se demande pourquoi son instinct le pousse à survivre, à résister à l'évanouissement qui menace à la fois à cause du souffle glacial qui semble prêt à balayer son corps frêle comme une vulgaire feuille et de son ventre vide grondant. Ne serait-il pas plus simple de mettre fin à ses souffrances en se laissant mourir?

Junhong se traîne jusqu'à un tronc afin de s'y adosser. Malgré sa peine immense, il ne pleure pas. Il estime que cela n'avancerait en rien sa situation. Son estomac gargouille si fort qu'il en souffre. Il décide donc d'avaler un peu de neige, puis il entoure ses jambes de ses bras, pose sa tête entre ses genoux, et il s'abandonne. Tout devient sombre et le hurlement du vent disparaît.

Esclave | BangloOù les histoires vivent. Découvrez maintenant