Chapitre 12 - Recherche

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Les pneus crissent sur l'épaisse couche de neige fraîche, et le bruit du moteur s'éloigne lentement de lui. C'est à peu près la même chose qu'à chacun de ses départs, mais le cœur de Yongguk est bien moins lourd que d'ordinaire car ce son n'annonce pour une fois pas un retour à la solitude complète.

C'est donc presque serein qu'il retrouve l'abri de sa maison isolée au milieu des reliefs montagneux. Il a envie de son esclave, sa présence lui fait ressentir tant de choses oubliées! Un courant d'air improbable le fait frissonner, et il s'arrête brièvement dans le couloir, perplexe. Cela ne lui ressemble pas de laisser une fenêtre ouverte, surtout par cette température. Mais après tout, à quoi ressemble-t-il? À pas grand chose, selon lui. Après avoir haussé des épaules, il se remet en marche et ouvre la porte de la chambre d'ami.

- Non...

Ce n'est pas possible.

- Non.

Pas encore.

- Non!

Ce n'est pas vrai.

- NON!!!

Il ne la supporte plus. Elle est toujours là, et en même temps elle est horriblement vide. Elle le remplit et le détruit à la fois. Il a voulu l'arrêter, maladroitement, comme il pouvait, mais elle revient, il la sent, partout, elle l'enveloppe. C'est un peu sa camisole de force: elle l'empêche de blesser les autres et de vivre.

- DÉGAGE!!! IL REVIENDRA! OU JE LE RETROUVERAI!

Oui, oui, c'est ce qu'il doit faire: le retrouver. C'est la seule solution pour qu'elle disparaisse enfin.

Il se précipite à droite à gauche dans la maison afin de s'équiper pour une expédition en forêt. Nourriture, eau, vêtements, couvertures pour lui, lampe, couteau au cas où, briquet, corde, et toutes les bricoles qui pourraient être utiles.

Avant de sortir, il fouille dans ses œuvres et en sort une toile sur laquelle est représenté un cœur humain dont jaillit mollement un liquide noir et visqueux comme du pétrole. Il calme sa respiration en la regardant en face, déterminé. Il voudrait la contempler des heures, juste pour la narguer, mais il a mieux à faire.

- Profite, profite. Aujourd'hui tu crèves.

Sur ce, il se met en route, laissant son tableau nommé Solitude sur son bureau.

Armé d'une volonté en acier trempé et d'un sac Quechua, il se lance sur les traces de pas de l'esclave presque recouvertes par les chutes de neige de la veille. Remarquant que les traces de pas de Himchan, enfin non... Junhong sont très espacées, il vient à la conclusion que le jeune homme courait. A-t-il eu peur de quelque chose? Si oui, quoi? Les ours sont rares ici, et de plus en cette saison ils hibernent. Peut-être qu'il a bêtement paniqué à cause d'un lynx, mais bon, ça n'attaque pas, ça...

Alors qu'il marche à un rythme régulier, son esprit tombe dans la torpeur. Il lui semble entendre un rire familier, un peu maladroit et disgracieux aux oreilles des autres, mais c'est parce qu'ils sont tous stupides de ne pas le percevoir comme lui l'entend: juste parfait, doux, si adorable et communicatif... L'espoir fait tambouriner sa poitrine un instant et il ne peut se retenir de l'appeler.

- HIMCHAAAAN!!

Pas de réponse, bien entendu. Il se doutait bien que c'était trop beau pour être vrai, mais chaque fois qu'il le voit ou l'entend, il ne peut s'empêcher d'espérer. Et à chaque fois il déchante aussi violemment que la précédente.

L'image du jeune Junhong se forme dans son esprit et le pousse à avancer de nouveau. Yongguk se presse de plus en plus, inquiet du sort du garçon. Il panique, imagine les pires scénarios possibles, désespérant presque de le retrouver en vie. Il a dû souffrir énormément du froid cette nuit. Tout ça par ma faute!

C'en est trop. Trop de culpabilité, de déception. Il s'arrête pour déverser sa haine envers lui-même sur un arbre, en le frappant de toute ses forces. Il a bien un couteau pour se punir comme il devrait, mais s'il se blesse il sera incapable de sauver Chan... Junhong. Il se remet en marche.

Alors que Yongguk s'enfonce de plus en plus dans la forêt, les yeux rivés sur le sol, il se met à s'énerver sur l'adolescent. C'est vrai après tout, quel droit aurait-il de quitter son propriétaire? Et puis il est inconscient de courir à sa mort en se perdant là-dedans! Il est vraiment trop con, il va le regretter quand je l'attrapperai! Puisqu'il ne s'en sert pas pour m'écouter, je voudrais bien l'alléger d'une ou deux oreilles! Il tripote machinalement la pochette sur le côté du sac où se trouve son couteau soigneusement entretenu.

- Non, il a déjà assez souffert comme ça, je ne devrais pas lui faire ça... Il n'a même pas demandé à venir ici. Arrête de penser, arrête de penser, arrête de penser. Voilà.

Pour s'empêcher d'avoir d'autres pensées malsaines, il se met à compter.

- ...vingt-neuf, vingt-di...euh trente, trente et un... trente et un, tiens, c'est notre anniv! Trente deux...

Il continue sa marche et son compte un peu aproximatif. À quatre cents, il remarque que les pas du fugitif sont de moins en moins espacés. Son attention se focalise sur la piste et encore moins sur ses nombres.

- ... quatre cent trente-treize... il a bien dû s'arrêter quelque part... trente-treize? Qu'est-ce que je raconte? Je ne sais plus compter, c'est minable, c'est de ma faute, ou de sa faute à elle. Quatre cent quarante-qua... JUNHONG!

Il est là, roulé en boule et adossé à un arbre. Yongguk se rue sur lui, tente de le réveiller, le secouant, l'appelant, hurlant de peine, en larmes. Il s'assoit dans la neige et attire contre lui le corps glacé et respirant faiblement du jeune homme. Il ouvre son manteau pour le serrer plus près de lui, et l'enveloppe de toutes les couvertures qu'il a apporté.

- Il n'aura jamais assez chaud comme ça, pauvre chose, c'est moi qui lui ai fait ça, mais quel monstre!!!

Yongguk comprend que le garçon ne risque pas de se réveiller de sitôt, et décide donc de le porter jusqu'à la maison. Pour tenter de réchauffer le garçon, il le fourre dans son sweatshirt, encore plus près de lui. Il passe les bras de l'adolescent autour de ses propres épaules, cale ses jambes autour de sa taille et entreprend, longuement et difficilement, de ramener Junhong en le portant comme on le ferait pour un enfant endormi que l'on reconduit à son lit.

Une fois arrivé, Yongguk est exténué, mais il ne peut pas se reposer. Il fait immédiatement couler un bain chaud puis y plonge Junhong, veillant à le positionner pour qu'il respire facilement.

Tandis qu'il prend soin de son esclave, l'homme est accablé d'immenses remords. Il ne cesse de sangloter en lavant soigneusement le garçon. Il pleure tout autant en le séchant, le rhabillant, le portant jusqu'à sa propre chambre. En rentrant dans celle-ci, il ne manque pas d'adresser à Solitude un doigt d'honneur. Après avoir installé Junhong avec toute la douceur dont il est capable dans le lit rouge, il s'y glisse, toujours en larmes.

Yongguk passe ensuite la matinée à tenter de se réconforter en serrant convulsivement le jeune homme dans ses bras, collé à lui comme si leurs deux vies en dépendaient, cherchant à se faire pardonner de ses actes, et en même temps se disant qu'il ne méritait pas d'être aux côtés de ce pauvre être innocent malmené par le destin.

Esclave | BangloOù les histoires vivent. Découvrez maintenant