Chapitre 15 - Photos

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Le sommeil de Junhong est perturbé au beau milieu de la nuit par un cri puissant.

- NAAAAM!!! NON!

Le jeune garçon se dit immédiatement que l'autre homme a dû faire une sorte de crise et se lève difficilement pour intervenir. Le réveil sur la table de nuit indique 3h45, ce qui fait bêtement remarquer à Junhong, qui n'est pas encore tout à fait réveillé, que les chiffres trois, quatre et cinq sont dans l'ordre. Mais ce serait encore mieux s'il était 34h56, pense-t-il vaguement en sortant de sa chambre.

Un énorme cri de rage provenant de la chambre de Yongguk ne laisse pas le temps au garçon de se rendre compte de la stupidité de sa réflexion. Il se précipite dans le couloir, ouvre sans prévenir la porte de l'autre chambre et tombe sur son propriétaire affairé à brûler une photo en noir et blanc d'un homme d'environ quarante ans, souriant, habillé en costume,m dont les traits rappellent vaguement quelque chose à Junhong à l'aide d'un briquet, tout en proférant différentes violentes insultes.

Lorsque la photo finit de se consumer, l'homme se saisit d'une copie pour lui faire subir le même sort. Le jeune esclave se contente de regarder la scène, complètement désemparé, tandis que Yongguk fixe la photo en répétant:

- Pas le droit de voir Nam... Pas de Nam... Privé de Nam cette semaine...

La seconde photo brûlée, il répète l'action avec une troisième, en se contentant cette fois de rire au nez de l'homme sur la photo avec l'air d'un authentique démon. Se disant qu'il faudrait peut-être réagir, Junhong pose une main sur l'épaule de l'autre homme, n'étant pas sûr que sa présence ait été remarquée par celui-ci, pour ensuite tenter de le calmer. Mais à peine entre-t-il en contact avec Yongguk qu'il se voit gratifié d'une réprimande sèche:

- Laisse-moi faire, toi, ou je te brûle aussi!

Junhong ne doute pas un instant de la capacité de son propriétaire à mettre ses menaces à exécution. Il s'écarte donc sagement et décide, deux photos brûlées plus tard, d'entrouvrir la fenêtre pour éviter qu'ils ne s'asphyxient tous les deux à cause des gaz créés par la combustion. Le dialogue étant la seule option restante pour essayer d'arrêter ce besoin de destruction compulsif chez Yongguk, le plus jeune tente de faire la conversation.

- Et donc... sur cette photo, ce monsieur, qui est-il?

- Papa.

- Ah. Qu'est-ce qu'il vous a fait?

- Plein de choses.

- Et votre mère?

- Morte.

- Oh. Toutes mes condoléances.

- Elles ne vont pas la ramener à la vie, tes condoléances.

Le ton de Yongguk indique clairement au jeune homme qu'il ferait mieux de se taire, ce qu'il fait immédiatement. Photo après photo, le rire malsain de Yongguk s'amplifie, s'intensifie, devenant de plus en plus rageur. Une douzaine de photos brûlées plus tard, l'homme rit à pleins poumons, ses yeux incandescents de démence reflétant les flammes qu'ils admirent passionnément.

- Monsieur Bang, il... serait temps d'arrêter...

Junhong assisste depuis un coin à ce spectacle morbide sans pouvoir rien y faire. Terrifié, il n'ose pas bouger. Après avoir fini sa dix-septième photo, l'autre se tourne vers lui pour le fixer d'un regard indescriptible où se mélangent des émotions contradictoires. Puis, sans prévenir, Yongguk se met à frapper de toutes ses forces le mur à côté de l'adolescent en hurlant de colère.

Craignant que l'homme le blesse ou se blesse lui-même, Junhong se sent obligé de l'arrêter. Le garçon tente sans succès de lui attraper le bras, puis l'enlace par derrière pour l'éloigner du mur du mieux qu'il peut. La tâche est difficile, puisque Yongguk, bien qu'il soit légèrement moins grand, est bien plus fort que Junhong qui est à peu près aussi bien bâti qu'un spaghetti trop cuit.

Cela explique que, malgré tous les efforts du plus jeune, Yongguk parvient vite à se dégager de l'emprise de son adversaire qu'il pousse jusqu'à le plaquer assez violemment sur le lit, qui, au bonheur de Junhong, est un terrain d'atterrissage confortable.

- De quoi tu te mêles, le gosse?!

Yongguk grogne comme un fauve, le visage à quelques centimètres de celui de sa proie. Il est à califourchon sur Junhong, lequel redoute un coup imminent, mais est incapable de se défendre à cause de son agresseur qui le cloue fermement au lit. Le garçon, plutôt que de pleurer comme à chaque violence qu'il subit, sort sincèrement ce qui lui passe par la tête.

- Laissez-moi!! Laissez-moi, c'est tout ce que je demande, je ne vous ai rien fait! Vous me réveillez au milieu de la nuit, j'essaye de vous aider, et c'est comme ça que vous me remerciez... Ne me frappez pas, je n'y suis pour rien si vous avez des problèmes.

Cela fait à l'autre homme l'effet d'une douche froide. Yongguk relâche la pression qu'il exerce sur l'esclave, ses yeux s'adoucissent et il semble reprendre contact avec la réalité.

- Je ne voulais pas te faire de mal. Mais tu ne devrais pas t'approcher de moi quand je suis dans cet état-là.

- Qu'est-ce que je devais faire alors? Vous laisser délirer et vous faire mal?

- Baisse d'un ton.

- Pardon. Je devrais retourner me coucher.

- Non, puisque tu es là, reste tant qu'à faire.

Perplexe face à cette demande, Junhong obéit tout de même et reste assis sur le lit pendant que son aîné remet un peu d'ordre dans la chambre. Puis ils s'installent tous deux sous la couette à une certaine distance l'un de l'autre compte tenu des tensions survenues quelques minutes plus tôt. Peu après avoir éteint la lumière, Yongguk adresse au jeune homme un menu "merci" qui les étonne tous les deux.

Bien que l'heure y soit tout à fait propice, les deux hommes ne parviennent pas à s'endormir, chacun se demandant si l'autre est éveillé ou non. Finalement, c'est Yongguk qui brise les vingt minutes de silence seulement ponctuées de leurs respirations respectives.

- Tu dors?

- Non et v..toi?

- À ton avis Sherlock?

- C'est qui Sherlock?

- Peu importe.

Bien qu'il n'y ait personne d'autre à des kilomètres à la ronde, ils chuchotent comme des gamins qui ont peur de se faire prendre. Après ce bref échange, le silence revient, et ils se font bêtement face dans le noir, les yeux grands ouverts, durant plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'une question vienne à Junhong.

- C'est qui Nam?

Yongguk reste longtemps silencieux. Très longtemps. Alors que le garçon à ses côtés a perdu espoir de recevoir une réponse et songe à essayer de dormir, celle-ci vient.

- Mon frère jumeau.

Junhong reste silencieux, mais il a l'impression que son cerveau vient d'exploser à cause de cette révélation. Il y a un deuxième Monsieur Bang! C'est pas possible!! Est-ce qu'il est beau aussi? Et fou? Mais.... C'était lui qui est venu l'autre jour!!! Avec la même voix! Non mais c'est dingue!!! L'information tourne en boucle dans sa tête, il est époustouflé de ce qu'il vient d'apprendre. Cette découverte soulève chez Junhong de dizaines et des dizaines de nouvelles questions quant à la vie de son propriétaire, son rapport à sa famille et l'origine de sa folie.

La réflexion du garçon se ralentit,se déforme peu à peu jusqu'à ce qu'il sombre de nouveau paisiblement dans le sommeil, oubliant la présence de Yongguk à une vingtaine de centimètres de lui.

Esclave | BangloOù les histoires vivent. Découvrez maintenant