Esclave | Banglo

Chapitre 25 - Wonshik

Comme tous les matins, à 8h15, je m'affale sur ma chaise de bureau. Je regrette sérieusement d'avoir passé la soirée à me marrer bêtement devant des télé novelas mal doublées. Je n'ai dormi que trois heures et je dois tenir une journée dans ce bureau moche et sombre avec tous ces vieux abrutis... Heureusement que ma plante est là pour me tenir compagnie.

Par bonheur, j'ai un prétexte pour bouger de ma chaise aujourd'hui: il faudra que j'aille prévenir Bang Yongnam, le seul supérieur avec lequel je m'entends, que j'ai bien fait la petite faveur qu'il m'a demandé. Vers 9h40, je commence à m'ennuyer et me décide à aller voir le fils du Président. Il doit être arrivé à cette heure.

Arrivé devant sa porte, je frappe plusieurs fois, sans obtenir de réponse. Je l'appelle, en vain. Il est peut-être en retard, ou occupé ailleurs. Je reviens plus tard dans la journée, à deux reprises. Il n'est toujours pas là. Je suis même allé demander à l'hôtesse d'accueil, qui ne l'a pas vu passer de la journée.

Je recommence mon manège le lendemain, et le jour suivant... Je n'ai pas de nouvelles de lui de toute la semaine. Cela m'intrigue de plus en plus, étant donné qu'il m'aurait sûrement informé d'une aussi longue abscence après m'avoir demandé ce service. La seule explication pour qu'il soit en déplacement aussi longtemps serait un voyage à l'étranger, mais le monde n'a pas besoin l'adjoint au Président de la province de Gangwon. De plus, son père, le Président lui-même, est bien présent.

Le vendredi soir, en retournant le sujet dans la tête, je tripote un post-it dans mes mains. C'est celui que Bang Yongnam m'a donné pour remplir le formulaire d'identité. Je le regarde vaguement, quand un détail au dos attire mon regard. Il s'agit d'une suite de nombres ne correspondant pas à un numéro de sécurité sociale ou un code postal.

- Qu'est-ce que c'est que cette merde...

C'est alors qu'une phrase de Monsieur Bang résonne dans mon esprit. Il me semble qu'il a dit avant de partir quelque chose comme jeune padawan... Si je ne reviens pas de ma mission, me retrouver tu dois, afin de devenir un vrai Jedi! Sur le coup, ça sonnait comme une simple blague, mais maintenant qu'il a bizarrement disparu, j'ai comme l'impression que cette phrase a un sens plus profond qu'elle n'en a l'air au premier abord.

Je rentre donc chez moi avec tous ces doutes qui me trottent dans la tête. Pour me vider l'esprit, je finis de regarder ma superbe saison de télé novela vénézuelienne en avalant une bonne part de pizza de chez Dominos réchauffée au micro-ondes. Je passe un super moment: je n'en reviens toujours pas, Carla a largué Enrico à cause de Jesù! J'en ai rêvé toute la nuit.

Le lendemain matin, vers 14h30, alors que je viens de me réveiller, je repense à cette suite de chiffres. La tête encore dans le brouillard à cette heure trop matinale pour moi, je fais ce que n'importe qui fait en premier quand il a une question: je cherche ces chiffres sur Google.

Et là, vlà t'y pas que c'est pas vrai. Des coordonnées GPS indiquant un endroit paumé dans la montagne à une heure de route d'ici. Ce n'est pas une coïncidence: Bang Yongnam m'a intentionnellement donné cet emplacement. Est-ce que c'est l'endroit où vit la personne qui a besoin de papiers? L'endroit où est mon supérieur? Je suis certain que Bang a volontairement mis ces coordonnées sur ce post it à mon intention.

Il ne laisserait certainement pas traîner sans le vouloir de telles informations, il n'est pas idiot! Il sait très bien où trouver la personne à qui il veut donner ces papiers. Je ne le vois pas recopier soigneusement sur le post-it où il a écrit en gros "Pour Wonshik :)" la longitude et la latitude de son point de rendez-vous sans s'en rendre compte.

Cette affaire me semble de plus en plus suspecte. Je commence à me faire des films: Bang Yongnam mort dans un règlement de compte avec des hommes cagoulés, Bang Yongnam devenu fou et parti en exil volontaire dans la forêt pour communiquer avec les buissons, Bang Yongnam dans une base secrète de reptiliens sous la montagne...

- Mais qu'est-ce qu'il irait foutre là? Il veut que je vienne?

Ma curiosité est forte, mais je ne vais pas faire 70 kilomètres pour la satisfaire. Quel intérêt aurais-je à aller dans ce trou perdu? Ces magouilles ne me concernent même pas. À ce moment, un texto de mon ami Himchan me tire de mes réflexions.

  Chan

Tu fous quoi? T'es tombé dans le trou des toilettes?
                                    14:41

- Meeerde...

J'avais rendez-vous avec lui pour boire un verre au bar où on avait travaillé ensemble il y a dix minutes. Je suis tellement à la bourre... Je lui réponds en vitesse, m'habille n'importe comment et pars en hâte de chez moi.

J'arrive avec une bonne vingtaine de minutes de retard à notre lieu de rendez-vous, non sans me faire énergiquement réprimander par la diva qui me sert d'ami. Après avoir salué notre ami Jin au bar, on commence à raconter nos vies, parler de tout et de rien autour d'un verre. C'est pour ces moments de détente que j'apprécie Himchan.

La conversation dérive sur mon travail. Je lui raconte d'abord que tout se passe comme d'habitude, c'est-à-dire dans la morosité la plus totale, quand je me souviens de ces drôles de coordonnées GPS.

- Ah, j'avais oublié, il y a bien quelque chose qui change en ce moment. Mon boss, tu sais, celui qui est sympa...

- Ouais.

- Je ne l'ai pas vu depuis mardi.

- Super! Le seul que tu peux supporter se casse!

- Oui, mais il y a un truc louche dans cette histoire. J'en suis sûr.

- Ah bon?

- Déjà, la dernière fois que je l'ai vu, il m'a demandé de faire des faux papiers pour quelqu'un alors qu'il est complètement contre ce genre de magouilles. Il était même en train de trembler quand il m'a donné son post-it avec les infos pour remplir le formulaire, mais il essayait de le cacher. Je me suis dit "Bang Yongnam, faire ce genre de trucs?" Jamais j'aurais imaginé ça.

Je remarque que Himchan, qui m'écoutait attentivement, tressaillit à l'évocation du nom et son expression se fait plus tendue.

- Mais ça c'est que le début. Déjà, en partant, il me fait une phrase bizarre du genre "si je ne reviens pas, retrouve-moi", sur le ton de l'humour, mais ça sonnait faux. Depuis ça, il s'est volatilisé sans que personne ne s'en inquiète, et tu devineras jamais ce que j'ai découvert ce matin.

- C'est quoi?

Mon ami, d'ordinaire très détaché, a l'air bien trop soucieux pour une histoire sur quelqu'un qu'il ne connaît pas.

- Sur le post-it de mardi, il y avait une suite de chiffres bizarre, alors moi, ce matin, j'ai cherché ça sur Google. En fait, c'était les coordonnées GPS d'un coin paumé au milieu des montagnes par là-bas.

J'agite mon bras en direction de l'Est tandis que Himchan écarquille les yeux.

- Fais voir!

- Ok, ok, calme tes fesses...

Je lui montre l'endroit sur mon téléphone, ne sachant pas ce que le fait voir un bout de forêt en photo satellite va lui apporter. Après avoir brièvement regardé le trajet pour aller à cet endroit, il recule brusquement, les mains sur le visage, l'air choqué.

- Bah quoi? T'as jamais vu les montagnes?

- Je connais cet endroit. Je crois qu'il s'est passé quelque chose de grave. On y va, et tout de suite!

- Quoi?

Sans même payer son ice tea et avant que j'aie le temps de m'y opposer, Himchan m'attrappe et me tire vers la voiture de son copain, qu'il a dû emprunter, avec une force que je n'aurais jamais soupçonnée de sa part.

- D'où tu connais cet endroit? Et Bang, comment ça se fait que tu sais qui c'est?

- La ferme, tu comprendras là-bas.

S'ensuit ce que je perçois comme le trajet en voiture le plus long de ma vie.