3 - LA DÉCISION

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 Après l'enterrement, ma mère ne quittait plus sa chambre. Elle était tellement traumatisée par ce drame, qu'elle devait certainement garder à l'esprit, l'image du corps ensanglanté de mon père.

Les circonstances de « l'accident » n'avaient toujours pas été réellement élucidées. La police soupçonnait également l'œuvre d'une bête sauvage, car les blessures retrouvées sur mon père se rapportaient à des morsures et des griffures faites par un animal d'une envergure et d'une force impressionnantes. Seulement, la police n'avait rien trouvé qui ressemblait de près ou de loin à cet animal dans les parages. D'ailleurs, aucune disparition n'avait été signalée dans les zoos de la région.

Malgré les visites répétées du psychiatre, ma mère n'arrivait pas à refaire surface. Elle s'était emprisonnée entre quatre murs, se nourrissait à peine, et ne me parlait plus. Son silence m'était insupportable.

Je n'étais pas retournée au lycée depuis des semaines. Je ne voyais plus mes amis. Je ne prenais même plus leurs appels. Le courrier s'entassait sur la table : factures..., relances de la banque..., lettres de condoléances...

Ma mère n'avait plus d'énergie pour s'occuper de la maison. Après le départ de tante Emma, il n'y avait plus personne pour gérer la partie administrative. Alors, je décidai de prendre les choses en main. Du haut de mes dix-sept ans, il m'était assez complexe de diriger un foyer, même temporairement. Mais je pouvais compter sur Hélène et Roland, si je n'arrivais pas à m'en sortir. Une des lettres de la banque n'annonçait pas de bonnes nouvelles. Nous étions à découvert. Je savais que nos finances n'étaient pas des plus réjouissantes avant la mort de mon père, mais là, nous allions droit dans le mur. Il fallait trouver une solution au plus vite.

Lors de notre conversation, ce fameux après-midi-là, ma mère m'avait fait part de leur intention de vendre la maison. Cette hypothèse pourrait nous permettre de rembourser les dettes, mais où irions-nous après ? Aurions-nous le courage de quitter tous ces souvenirs dans cette maison et surtout ceux partagés avec mon père ?

D'après ma tante, le mieux serait de tout recommencer à zéro, de refaire notre vie ailleurs, de laisser nos souvenirs et d'en recréer des nouveaux. Oh ! Il n'était pas question de les oublier, de simplement les ranger dans un coin de notre tête et de se construire une nouvelle vie. Seulement, ma mère n'était pas prête à tout abandonner maintenant. Sa souffrance ne s'estompait pas. Il n'y avait aucune amélioration et elle se confortait dans son mutisme.

Le psychiatre me présenta une assistante sociale pour gérer le quotidien. Son aide me soulagea dans nos démarches administratives. Malheureusement, le problème de la banque n'était toujours pas réglé, loin de là. Les huissiers ne tarderaient pas à débarquer à ce rythme-là. Il fallait que j'en discute avec ma mère.

Je me dirigeai vers sa chambre.

En entrant, la pièce, qui était d'ordinaire très ensoleillée, était depuis plusieurs semaines très sombre. Les rideaux étaient tirés, les fenêtres n'avaient pas été ouvertes depuis des jours, et ma mère restait allongée dans son lit à longueur de journée.

— Maman, commençai-je, il faut que nous discutions de la vente de la maison. Tu te souviens, nous en avons déjà parlé ? Je crois qu'il faut réellement l'envisager, maintenant. Notre situation financière est assez précaire. C'est la seule solution, maman. (Aucune réaction.) Maman, tu m'entends ? Maman ? Je t'en prie maman, écoute-moi ! Je ne peux pas prendre des décisions pour toi. Il faut que tu m'aides, là, s'il te plaît. Je sais que ce n'est pas facile pour toi, mais je ne peux pas m'en sortir toute seule. J'ai besoin de toi, maman. (Quelques minutes passèrent, mais toujours rien.) Je vais tenter de me renseigner un maximum et tu n'auras qu'à choisir ce qui te conviendra. Je te laisse te reposer. À plus tard.

AU-DELÀ DE LA LUNE - 1 : Songes (l'intégrale)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant