L'immeuble maudit - L'Épreuve Parallèle (en pause)

Chapitre 15

21/09/225,   09h28

Lucie était coincée dans sa chambre, séquestrée jusqu'à ce que sentence soit décidée. Ça y est, elle avait eu ce qu'elle voulait, et tout le monde, du moins le docteur Paige, Severina et M. Bench, était au courant de la farce. Coup monté réussi, infiltration parfaitement maîtrisée. Sauf le voyage en sens inverse.

Les sourcils froncés à l'extrême et la moue boudeuse, la jeune fille lorgnait toutes les cinq minutes du côté de la bouche d'aération, soudée à vie au plafond par les réparateurs du WICKED. Tant pis. La blondinette ne comptait pas recommencer.

On lui apportait le repas "domicilement" désormais. Pas le droit de manger à l'extérieur, juste celui de se doucher à la rigueur.
Et encore mieux, des cours suspendus. Pour le moment, Lucie communiquait avec ses professeurs par vidéo, ce qui rendait la tâche plus difficile. Mais au moins ils ne pouvaient pas la voir dessiner.
Severina devenait de plus en plus agitée, à mesure que les semaines passaient. La jeune femme avait pardonné à Lucie son délit, mais leurs conversations n'étaient plus comme avant. La jeune fille sentait bien que son assistante lui cachait quelque chose. Un lourd secret. Et qui la concernait de très près. Trop près même.

— Quand il y a douze syllabes dans un vers, on appelle ça un alexandrin.

Lucie révisait ses cours de poésie pour sa prochaine évaluation. Mme Ray, en appel vidéo, lui posait des questions.

~Bien...c'est fini pour aujourd'hui Lucie~, lui dit-elle.

— Très bien.

~Continue de revoir tes cours et tu seras au top. Je compte sur toi.~

— Entendu, acquiesca Lucie. Au revoir Mme Ray.

~Bonne fin de journée, Lucie.~

La blondinette coupa la communication. Elle soupira de fatigue et s'écroula sur son lit, un bras en travers du visage.
Il était 18h23, les cours de la journée étaient enfin terminés, elle pouvait se reposer. Ou ruminer. Broyer du noir.
Repenser à ses parents et à ses frères et soeurs décédés.
Une larme silencieuse roula sur sa joue, et elle la laissa couler, abattue.
WICKED lui avait volé sa vie.
Sa future vie.
Ses futurs amis.
Sa famille.
Ce qui faisait d'elle la jeune fille qu'elle aurait dû être.
Épuisée par ses réflexions, Lucie s'assoupit, bercée par d'agréables souvenirs.

                                ***

La naissance de ses petites soeurs... c'était en partie le meilleur moment de sa vie. Deux petits poupons qui criaient en choeur et qui rendaient la maison d'autant plus vivante.

Quand Lucie ouvrit les yeux deux heures plus tard, elle se mit en tête de chercher si par hasard, les jumelles étaient encore en vie. Qui sait ? Peut-être que WICKED le savait. Dans ce cas, il y avait un espoir pour que Lucie les retrouve et reconstitue un semblant de fratrie. Pour son frère, malheureusement contaminé depuis toutes ces années, voire sûrement mort du virus Braise, il n'y avait plus de possibilité. Le chagrin revint en masse. Les yeux de la jeune fille s'embuèrent et elle ricana.
Pourquoi espérer ? Ses soeurs pouvaient tout aussi bien être malades. Sauf si une était immunisée. À moins que sa grand-mère, devenue folle à lier, les ai tuées. Si ce n'est d'autres fondus.
Lucie frissonna en imaginant l'une de ses soeurs, échappée de la demeure où elle devait passer les vacances, à deux ans seulement, errant dans les rues, sans repères, à la merci de fous sanguinaires.
La blondinette serra les poings. Elle cherchera quand même.
Peu importe ce qu'elle y trouvera. Elle sera certaine de savoir après, et de ne pas regretter son inaction.

                                 ***

— Comment s'est passée ta nuit, Lucie ?

La jeune fille ne répondit pas tout de suite et croqua dans un pain au chocolat, le plateau sur les genoux.

— J'en sais rien. Pas mal.

Severina se frotta la nuque. La blondinette se renfermait sur elle-même et pas moyen de la distraire.
Tout ça à cause d'une fichue curiosité, et d'un désir de vengeance. L'enfant était tenace, elle savait ce qu'elle voulait.
Et son expérience ? Comment allait réagir le sujet, comme aimait l'appeler Ava Paige ? Négativement, assurément.
Et la manigance de WICKED, pour amorcer le départ, allait la perturber.
Elle prit le plateau enfin vide de Lucie et sortit de la chambre. Elle déambula en direction des cuisines, en croisant parfois des enfants, accompagnés d'infirmiers pressés par le temps.
Severina détestait mentir et jouer la comédie. La jeune femme souhaitait dire la vérité à Lucie, et tant pis pour les représailles.
Sa main trembla, et son bras droit fut parcouru de soubresauts intempestifs.
Elle l'observa, en fronçant les sourcils, inquiète.
Elle ne dirait rien. Le protocole était et restera le même pour tous les sujets. L'assistante devait se plier aux règles.
WICKED était au courant.
Le moindre faux pas et s'en était fini de sa petite personne. Ava et le chancelier Anderson finiraient par l'envoyer là-bas. Avec eux.
Severina avait conscience qu'une date de fin était inscrite dans son cerveau. À la manière d'une date de péremption sur une denrée périssable. D'une bombe à retardement. D'un chrono qui parviendra à terme.

Ses mois étaient comptés. Et sans ce qu'elle avalait tous les soirs, elle ne tiendrait pas aussi longtemps.