chapitre 4

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Je me retrouvai donc encore une fois dehors sous l'air humide et frais.

Cette fois-ci, la sorte de magie qui me hantait l'autre soir n'était plus là. L'atmosphère était vide, vidée de ses habituelles émotions, de sa palette aux mille et unes couleurs : aucuns pétales de cerisier, aucunes étoiles ; et pour cause, les gros nuages qui couvraient entièrement le ciel.

Contrairement à la dernière fois, la nuit était triste. Sans lune, sans bruit, sans aucune beauté.

Pourtant, j'avais toujours aimé la nuit. Je la trouvais particulièrement magnifique quand elle était parsemée d'astres tous plus brillants les uns que les autres, quand elle était accompagnée de ses multiples bruits comme le vent soufflant dans les arbres ou encore le doux son de la ville s'endormant à l'heure où les gens disparaissent dans leurs bâtisses. C'est simple, je suis et j'avais toujours été une enfant de la nuit.

Quand j'étais petite, j'étais la seule fille de mon âge à aimer le noir, à trouver la nuit belle, à lui trouver des qualités que nul ne percevait, alors que toutes les autres la trouvaient laide, effrayante, sans réel but, sans grande raison d'exister. Je n'avais jamais compris ce qu'on pouvait lui reprocher, à la nuit. Elle était plus brillante que le jour, plus étincelante que n'importe quoi qui puisse exister sur terre. Puis, quel égoïsme de la détester. Pourquoi l'humain pourrait avoir un amour si l'on supprimait au jour son contraire comme sa moitié : la nuit. Quel égoïsme de la part de l'homme de lui reprocher sa noirceur alors que lui-même l'est plus qu'elle : lui-même représente, en quelque sorte, la partie obscure du monde. J'en étais tellement folle, de la nuit, tellement passionnée, que sur le plafond de ma chambre d'enfant, j'avais collé plein de petites étoiles fluorescentes pour pouvoir m'endormir en les regardant, des dizaines de petites fées qui pendouillaient entre-elles pour donner une vision meilleure à mes rêves. Tout cela afin de garder une belle vision du jour qui se terminait. Puis, c'était sans doute à ce moment-ci que j'avais pris l'habitude de sortir le soir, c'était à l'époque où maman était encore là.

Elle venait me chercher le soir quand j'étais couchée, et discrètement, pour ne pas que père nous entende, on se faufilait par la porte pour aller observer les étoiles en faisant une ballade. Alors, on allait au parc, et moi, je me postais en haut du toboggan. De là, j'avais l'impression de tout maîtriser, je me sentais forte, comme si plus personne ne pouvait me toucher ou m'atteindre. Je me sentais vivante, sur ce toboggan. Parce qu'à chaque fois, c'était comme si, à nouveau, j'existais. Je levais toujours la tête pour observer ces milliers de petites choses ressemblant à des planètes lointaines, et souvent, je m'imaginais une vie parmi elles, je me demandais s'il y faisait chaud ou froid, s'il y neigeait ou non. Ma mère se mettait alors derrière moi, et je me souviens de l'une de nos dernières promenades du soir. Nous étions là, dans ce minuscule parc de ma ville ; et si à l'habitude on restait dans le silence, cette fois-là ma mère avait pris la parole. Elle m'avait chuchoté des mots très doux, qu'à l'époque je ne comprenais pas, mais qui, maintenant, avaient repris tout leur sens à cause de sa mort. Enfin, ils étaient devenus signifiants quand j'avais réalisé qu'elle l'était, morte, ma maman.

« Tu sais, Lucy, quand la maladie m'emportera avec elle, je serai quand même là. Quand tu seras sur ce toboggan et que tu lèveras la tête, je serai au beau milieu des étoiles ; et pour toi, je serai la plus belle et la plus brillante d'entre-elles. Parce que même si on ne sait pas où nous mène la mort, même si on ne l'apprendra jamais aux humains de leur vivant, moi je m'imagine devenir une étoile. Un astre qui veille sur les gens qu'elle a aimé de son vivant. Je serai près de toi, et je continuerai de t'aimer, parce que tu sais, ma chérie, la mort n'est pas une frontière. C'est juste une étape que l'on franchit, on passe du statut d'humain vivant à âme voguant dans l'univers, comme quand l'on passe de bébé à enfant. Ce n'est qu'un portail, comme celui que tu franchis quand tu rentres à l'école. Il n'empêche en aucun cas l'amour ; et même si aujourd'hui tu es trop petite pour comprendre ces paroles, je sais que tu t'en souviendras plus tard, que tu regarderas le ciel, et que parmi ces petites planètes, tu te diras que celle-là, c'est moi : que c'est ta maman. Alors même si physiquement je ne serai jamais plus présente, mon âme sera toujours tout près de toi. Ne l'oublie pas. Jamais. »

ProgramméeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant