chapitre 2

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Début du récit.

L'air était frais, mais pas assez pour glacer les cœurs des passants. En réalité, je dirais qu'il était plutôt doux. C'était encore une belle nuit durant laquelle des milliers d'enfants et d'adolescents allaient pouvoir rêver. C'était la nuit parfaite pour qu'une princesse tombe sur son prince, après tout. Malheureusement, ce n'était pas un rêve pour moi. Il était bien trop utopique, me semblait bien trop "plastique" pour être réel. Qu'étaient les princes et les princesses ? Des identiques, et pourtant leur histoire continuait. Voilà le cœur du mensonge de la phrase "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". L'amour entre deux identiques ne pouvait pas exister éternellement. Deux âmes semblables ne pouvaient s'aimer qu'un temps, n'ayant rien de spécifique à trouver chez l'autre de ce qu'ils ne connaissaient déjà chez eux.

Voici pourquoi les contes furent pour moi, toute mon enfance, en réalité des mensonges. Sans compter que les princes arrivaient en claquant des doigts, il suffisait d'être allongée dans un cercueil de verre pour trouver son idéal, et il venait, vous embrassant, vous sauver du poison de la méchante marâtre. Si seulement les choses étaient aussi simples. Si seulement elles pouvaient se passer comme ça dans la vraie vie.

Seulement, il me semblait que les événements étaient faits pour être plus complexes sur terre. Que le monde ait décidé, dans un temps passé, de nous rendre plus difficile la tâche et que pour vivre un amour parfait et éternel, il fallait trouver son contraire. Sauf qu'avant de le trouver, il fallait le comprendre, que les identiques ne pouvaient être que nocifs. Son jeu était construit pareillement à un puzzle de deux mille pièces : difficile à construire, dur de réflexion.

L'amour était égal, dur à comprendre. Ainsi allait la vie.

Elle faisait de nous des personnes programmées, elle ne désirait pas qu'on trouve cet amour parfait, peut-être par simple égoïsme, elle, ne pouvant se marier avec la mort, obligée de vivre loin de son contraire, possible et seul amour. Alors on pensait toute notre vie l'avoir trouvé, mais la chute était rude, on tombait de très haut une fois que c'était terminé. Cela l'amusait la vie, de jouer avec nous et de faire de nous ses marionnettes pour encore un peu plus nous détruire.

Je rêvassais beaucoup, parlais énormément de choses que seule moi pensais et que personne ne croyait vraiment, mais je continuais mon chemin tout droit, sans vraiment savoir où j'allais. Seulement il m'était impossible de changer de route : je marchais sans but, sans émotions, avec pour seul compagnon mes envies de déprogrammation. Parce que c'était ça la programmation, où tes jambes te disaient d'aller tu allais, et tu n'écoutais surtout pas ton cerveau qui te disait pourtant de les ignorer.

Comme des robots.

Autour de moi, tout le monde me disait d'arrêter avec ces histoires de programmation, qu'il n'y avait rien de plus stupide, que je ferais mieux de revenir sur terre et de voir la réalité en face. Mais quelle réalité était la bonne ? La leur, celle que tout le monde suivait, ou la mienne, celle que personne ne croyait ? J'étais sûre que si en ce moment même, je n'étais pas programmée, j'aurais tourné quelques rues avant pour retourner chez moi, or, c'était impossible, je ne contrôlais rien de ce que mon corps faisait. Qu'ils ne me croient pas, j'avais dix-huit ans et même si je n'étais pas encore vaccinée, comme le disait l'expression, étant majeure je faisais ce qui me plaisait et je pensais ce que je voulais. D'ailleurs, je pensais librement bien avant cet âge.

Le vent se levait pendant que l'église sonnait les trois heures du matin, créant une neige de pétales de cerisier, et moi, j'étais toujours là, marchant vers l'inconnu. Je ne savais même plus la raison de ma sortie nocturne, j'avais sans doute eu le besoin de prendre l'air, le besoin de rêver un peu et de penser ailleurs que dans mon lit. Besoin de l'air pur que nous offrait la nuit, peut-être. Alors j'étais sortie de chez moi le lundi soir pour y rentrer le mardi matin. Mais jusqu'à quand allait durer cette escapade ? Peut-être tout au long de la nuit, peut-être toute ma vie. Cela ne me dérangeait pas, ça ne m'avait jamais dérangé de vivre la nuit, telle une chauve-souris ou un vampire. Je n'avais jamais vu rien de plus apaisant que la lumière des astres. Puis, au pire, ça ne me ferait que quelques cernes en plus, après tout, je n'en étais plus à ça près.

ProgramméeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant