À L'ombre D'un Regard

CHAPITRE 38

- Cesse de tirer une tronche de six pieds de long. Tout se passera bien.

- Tu veux que je te rappelle la dernière fois qu'on est sorti dîner ? On n'a passé plus de trois heures à fixer chacun un point dans le vide en priant pour que ce désastre prenne fin ? gronda Nathanaël en vidant son verre de whisky avant de le déposer avec brusquerie sur la table.

- C'était toi, le point que moi je fixais. Susurra Ada par-dessus la table avec un regard sombre. Tout ira bien poussin.

- Cesse de m'appeler de la sorte. Se plaignit Nathanaël à voix basse.

- Pourquoi ? Fit-elle innocemment comme si elle ne connaissait pas la réponse.

- Rien qu'avec ce petit nom tu m'émascule, sans parler du coup dure que tu portes à ma virilité.

- Tu ne crois pas que tu y va un peu trop fort ? Rien ne pourrait porter atteinte à ta virilité. En plus quand je me mets au-dessus de toi chaque matin en te susurrant poussin à l'oreille, tu as tout, sauf l'air d'un homme souffrant de castration.

Ça oui. Chaque matin ce petit nom était la première chose qu'il entendait avant même d'ouvrir les yeux, et chaque matin il sonnait à ces oreilles comme une musique du ciel, et son corps était immédiatement prêt à l'usage. Dire qu'il n'aimait pas quand elle l'appelle ainsi serait mentir, mais il tenait trop à sa fierté pour le lui avouer.

Depuis deux mois qu'elle partageait sa vie en tant que sa femme, et il avait constamment l'impression de vivre un songe éveillé. Être à ses côtés lui tordait les entrailles, et lui donnait à la fois un souffle nouveau de vie. Il ne pouvait s'empêcher de la toucher, de l'embrasser, de lui faire l'amour, de la baiser quand il était en colère, et elle se laissait faire sans se départir de cette lueur que seul lui savait éveiller en elle.

Nathanaël était tout, sauf un homme facile à vivre. Son éternel mutisme aurait rendu folle à lier n'importe quelle autre femme, mais Ada n'était pas comme ça. Elle savait quand il était propice de lui parler, quand il avait besoin d'attention, quand il avait besoin de sexe pour se calmer, et surtout elle savait quand il fallait insister, ou pas afin de briser le mur d'isolement dont il s'entourait quelque fois. Les disputes étaient certes fréquentes, mais en deux mois, en dépit de ses traits de caractères presqu'invivables, elle était restée, et chaque jour il l'aimait et la détestait un peu plus pour ça.

- Le genre de vie que je mène ne te dérange pas ? lui demanda de but en blanc Nathanaël pour la première fois.

Le sourire d'Ada se ternit. Elle redressa les épaules, ce qui était le signe que la discussion deviendrait plus sérieuse. Assis dans ce restaurant chic à l'abri des regards, et autres oreilles indiscrets, le couple qu'il formait serait vu de l'extérieur comme parfait, même si la réalité n'était pas vraiment ça. Pour le bien de leur relation, il y'avait certains sujets sur lesquels Ada ne faisait pas pression, et le style de vie de Nathanaël était sans aucun doute l'une de ces choses.

- Je ne t'ai jamais connu autrement. Répondit-elle en éludant subtilement la question.

- Mais si j'avais été un homme de tout ce qui est de plus banal, insista-t-il, avec un emploi stable, un salaire annuel de quarante mille dollars, plusieurs emprunts immobiliers à la banque, et vivant dans une petite maison de location que je n'aurai jamais fini de payer, aurais-tu été plus heureuse ?

Elle n'eut pas besoin d'y réfléchir.

- Peu m'importe la vie que tu aurais eu, pour moi tu ne pourrais jamais être un homme de ce qui est de plus banal. Et de mon côté, j'aurais été heureuse parce qu'il y'aurait auprès de moi la seule chose que je voudrais : toi... Murmura Ada en lui prenant la main pour embrasser son alliance. Je t'aime tout simplement, que tu sois l'homme celui que tu es en ce moment, ou un sans-abris, ou encore un paysan vivant aux confins de la cambrousse. Être avec toi est plus important que tout le reste et je suis prête à tout endurer du moment que je suis avec toi poussin.