Le Cercle

Chapitre 1

Je déteste le français. J'ai toujours considéré cette matière comme inutile. Pourquoi nous apprendre notre propre langue ? Enfin dans tous les cas, jusqu'ici, j'ai toujours eu une très bonne moyenne en français. Mais là, cette année, le destin a décidé de me donner un prof complètement félé, et qui note de façon très très sévère. Certes on rigole bien avec lui mais il ne faut pas se fier aux apparences : il a réussi à me mettre 0 sur 4 en "langue française" pour trois fautes d'orthographe. Exaspérant. Mais passons, je ne vais pas m'attarder sur ce sujet. Je tourne la tête vers le reste de la classe - étant donné que je suis tout devant et tout à gauche, j'ai plutôt une belle vue sur l'ensemble de mes camarades - que je balaye du regard. Je ne suis pas surprise de croiser le regard de Connor, en ce moment il me donne l' horrible impression d'être surveillée en permanence, et c'est assez gênant, je trouve. Ça fait déjà trois mois que je suis au lycée et je m'y sens très bien. Ma vie est plutôt super ici : je fais ce que je veux, je parle à de nouvelles personnes, mes notes sont bonnes... La sonnerie me tire de ma rêverie utopique. Je m'empresse de ranger mes affaires pour sortir dans le brouhaha de la récré. Il faut dire qu'en ce mercredi matin, à 10h15, il y a beaucoup de monde dans le hall. Mon amie Gema soupire :

- Ils sont vraiment forcés de tous se mettre au même endroit ?

Je jette un œil en bas, en effet on dirait qu'ils se sont passés le mot. Puis je remarque un vide maintenu par des bandes et des plots interdisant le passage, un homme est en train d'installer je-ne-sais-quoi au mur. Je fais la remarque à Gema qui me lance comme si c'était normal :

- Oui, ils sont là depuis ce matin.

- Ils ?

Je m'approche de la barrière, elle me désigne un autre bricoleur sur la droite puis un autre plus loin.

- Mais qu'est-ce qu'ils font ?

- J'en sais rien ...

La sonnerie retentit. Gema s'énerve :

- J'ai même pas eu le temps de manger !

Nous remontons en cours dans le silence, les escaliers sont dégagés, à notre grande surprise. Perdue dans mes pensées, je sens une main se poser sur mon épaule et m'attirer vers l'arrière. Je manque de tomber et me retourne, surprise, avant de me retrouver face à la coupable : Jade. Elle me décroche son plus beau sourire comme pour s'excuser, elle me fait la bise et me lance à voix basse :

- T'as vu ces mecs là ?

D'un signe de tête elle me montre un autre homme perché sur un escabeau, outils en main, similaire aux trois précédents. Je l'interroge du regard, elle reprend :

- Qu'est-ce qu'ils font au juste ?

Je hausse les épaules. Je pensais qu'elle saurait me le dire. Jade est déléguée, elle est au courant de tout, enfin normalement.

- C'est plutôt à moi de te poser la question ...

- Justement. Je ne comprends pas pourquoi on ne nous a pas prévenus

- Les autres ne savent pas ?

Elle secoue la tête. D'un coup, son visage s'assombrit, elle regarde autour d'elle et chuchote :

- Écoute, Ruby, j'ai l'impression qu'un truc se trame.

Je la coupe :

- Ah bon ? Mais quoi ?

- J'ai pas fini. Hier je suis allée au secrétariat, c'était désert. J'ai entendu le proviseur parler avec quelqu'un, un homme, j'ai pas tout compris parce qu'ils parlaient à voix basse mais je suis sûre d'une chose, c'est qu'il s'agissait d'argent - et à mon avis pas qu'un peu- et que l'homme essayait de le convaincre de quelque chose. Et cet homme n'est pas du personnel, je ne l'avais jamais vu avant. J'ai trouvé ça bizarre mais c'est maintenant que je vois ces mecs un peu partout que je commence à m'alarmer. Aaron dit avoir entendu parler d'une réunion demain... Voilà je devais t'en parler.

Je reste muette, incrédule et hésitante à la fois. Après tout ce n'est peut-être pas grand chose, peut-être qu'on s'inquiète pour rien. Je ne sais pas trop quoi penser. Jade est l'une de mes meilleures amies, elle ne me mentirai pas... Je la fixe, elle brise le silence :

- Bon, je dois y aller. Surtout n'en parle à personne et fais attention à toi. On se voit plus tard.

Elle lâche mon épaule et s'éloigne à reculons, avant de disparaître dans la foule de lycéens qui vont et viennent en tous sens. Je n'ai jamais vu Jade aussi inquiète. Elle ne peut pas avoir menti, j'en suis persuadée à présent.

Je passe le reste de la matinée à me tarauder de questions et à penser à cette histoire. Au fond, on est peut-être pas au courant de tout ici...