La semaine est passée à une vitesse incroyable. En cinq jours nous avons pu rencontrer, Connor et moi, le supérieur des Forces Armées qui nous en a appris beaucoup. Selon lui une évasion serait presque impossible, il pense que si j'ai réussi à passer le champ de force c'est juste que la chance a joué en ma faveur, qu'il serait impossible de recommencer et qu'à cause de ma tentative de fuite le Cercle va surveiller mes moindres faits et gestes et donc que je ferais mieux de passer inaperçue un certain temps. Il m'a conseillé de m'inscrire au Florilège. L'accès à la classe diamond est, d'après lui, un privilège à ne pas manquer et une opportunité parfaite pour à la fois redorer mon image aux yeux du Cercle et effacer leurs soupçons à mon égard mais surtout un moyen d'accéder à de nombreuses informations. Apparemment, même si je ne gagne pas, le simple fait d'atteindre la première étape au palais serait suffisante pour apprendre certaines choses, même si le mieux reste d'en sortir vainqueur. Ces propos ont semé le doute dans mon esprit et mes idées. Alison, elle, s'est déjà inscrite. Mais il me reste quelques semaines avant la clôture pour faire mon choix.
Les histoires avec le gang Nord ont empiré, un gang Sud s'est formé pour les empêcher de sévir sur notre côté, si bien que la zone Alpha est petit à petit en train de se diviser géographiquement en deux camps opposés. Il est de plus en plus dangereux pour ceux du Sud d'accéder au Nord et inversement. Je n'aime pas du tout ça.
Étant donné que Naomi travaille aujourd'hui et que je n'ai rien fait de ma journée, je décide d'aller toquer chez Connor. Je le trouve avachi dans son canapé, il marmonne :
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Rien... je voulais juste savoir si tu voulais qu'on bouge avant que le couvre-feu ne tombe.
Il semble agacé par ma visite car il se retourne, m'exposant son dos et répond sans me porter la moindre attention :
- Je fais une sieste, là. On se voit demain.
Voyant qu'il n'est pas d'humeur, je ne cherche pas plus loin et je repars, après tout Naomi rentre dans quelques heures, je peux attendre qu'elle rentre.
Mais je trouve une meilleure occupation lorsqu'en pénétrant dans le salon j'aperçois le chaton de la dernière fois sur le balcon. Je souris en ouvrant la porte vitrée pour le laisser entrer, il fait un tour dans la cuisine, sans doute attiré par la nourriture. Je lui donne quelques trucs à manger ainsi que de quoi se désaltérer. Il dévore tout ce qu'il peut avant de repartir vers la sortie. Je m'apprête à retourner devant le télé lorsque ma curiosité refait surface : Nous sommes au deuxième étage, comment ce chaton peut il descendre du deuxième étage sans tomber ?
Je fais volte-face et passe la tête dans l'entrebâillement de la porte vitrée. Je cherche le chaton du regard mais aucun signe. Puis je lève les yeux pour le remarquer, deux étages plus haut en train d'escalader la façade avec l'habileté d'un singe, passant de balcon en balcon, montant grâce aux gouttières et aux briques mal alignées dans le mur.
L'envie de le suivre me dépasse et je sors à mon tour sur le balcon. Je n'ai pas le vertige et je sais grimper aux arbres mais c'est bien la première fois que je tente un truc pareil. Je me perche sur la barrière pour atteindre du bout des doigts le balcon supérieur. Heureusement pour moi qui ne sait pas faire de tractions, la façade mal construite offre de multiples prises et je parviens à m'aider de mes jambes pour grimper. Priant pour que personne ne me remarque je continue mon ascension jusqu'au toit où le petit chat m'attend d'un air impatient. Je m'attarde un instant sur le paysage, certes pas aussi idéal que sur la colline mais néanmoins agréable surtout maintenant que le soleil est en train de se coucher du côté des zones ouest. Finalement je me décide à continuer mon chemin (ou plutôt celui du chat) vers la façade est du bâtiment, presque collée à l'immeuble voisin et reliée par des escaliers en zig zag qui serpentent jusqu'au sol. Je ne connaissait pas cet endroit mais je suis ravie de le découvrir car d'ici, on voit l'avenue principale de la zone, ses bars et ses restaurants, encore bouillonnante de monde une heure avant le couvre-feu. Plus loin, on distingue les quartiers Nord, un peu plus calmes en apparence mais dont les entraves, les sous-sols et les ruelles poussiéreuses regorgent de manigances et de secrets. Je les vois différemment maintenant, ces lueurs innocentes qui bourgeonnent aux fenêtres des HLM, ces rues endormies tracées par une armée de lampadaires qui fanent au fil des nuits. Je les regarde d'un œil méfiant car je sais désormais ce qui s'y cache et l'ampleur de la noirceur qui y règne.
Mais mon regard se perd ailleurs, au delà des immeubles et des lumières sournoises, au delà du champ de force qui nous retient prisonniers, au delà de tout ce que je connais : là où on ne voit plus rien que l'obscurité qui se faufile entre les arbres et les plaines à perte de vue et là où l'inconnu m'attire et m'effraie à la fois. C'est la liberté à portée de vue mais pas à portée de main, c'est la frustration absolue : être à la frontière de ce que l'on désire le plus au monde sans jamais pouvoir l'atteindre.
C'est ce que je ressens au quotidien.
J'ai dormi comme un bébé. Il est onze heures lorsque je décide de sortir du lit pour commencer la journée. Connor m'a envoyé un message hier soir quand j'étais sur le toit en me disant qu'il viendrait me chercher chez moi ce matin pour qu'on sorte alors je ne traîne pas et je me prépare en vitesse.
Mais personne ne vient.
Les heures passent. Je m'installe dans le fauteuil et allume la télévision pour passer le temps mais plus ça va moins je parviens à me concentrer sur le programme et plus je m'inquiète.
J'en conclus, passé treize heure, que Connor m'a oubliée et donc que c'est moi qui vais aller le chercher. Je tente de calmer mes nerfs tandis que je fend le couloir vers son appartement. Je frappe à la porte. Deux fois. Aucune réponse.
L'agacement se mue en stress. Qu'est-ce qu'il fait ?
D'un geste silencieux, je pousse la porte qui s'ouvre sur l'appartement désert. Je pénètre dans le salon inoccupé. La panique s'empare de moi dans un frisson lorsque je découvre son lit vide. Je crie son nom, priant pour une réponse mais apparemment personne ne m'a entendue. Je me précipite vers le débarras, puis le dressing et jusqu'à la salle de bain où je le retrouve enfin, endormi et tout habillé dans la baignoire pleine. Mon rythme cardiaque s'enflamme lorsque je réalise qu'il pourrait s'être noyé et je me jette sur lui pour le secouer. Il se réveille en sursaut, comme au sortir d'un cauchemar, et m'agrippe les bras de ses mains gelées et trempées. Je ferme les yeux et soupire de soulagement tandis qu'il reprend ses esprits.
- Tu m'avais dit que tu viendrais me chercher !
Il comprend alors ce qu'il se passe et baisse les yeux :
- Je suis désolé...
Je le fixe, le souffle court à cause de la peur qu'il vient de me faire, attendant des explications. Il comprend mon regard et s'exécute.
- Je suis retourné dans les souterrains. J'aurai du te prévenir, excuse moi.
Malgré ses excuses, je ne peux m'empêcher de lui en vouloir. Il continue à me cacher des choses et je ne supporte pas ça.
- Pourquoi t'as fait ça alors que tu sais que ça ne mène à aucune sortie ?
- Non c'est pas pour ça.
- Alors quoi ?!
Il détourne le regard et c'est là que je me rends compte qu'il a honte de lui. Ou plutôt honte de me l'avouer. Mon expression se durcit malgré moi :
- Connor, répond moi.
- Ils organisent des combats dans une vieille salle avec un ring, en échange de combattre ils nous versent du crédit au black sur la Lifecard. Je me suis dit que ça valait le coup.
J'en suis décontenancée. Il m'a menti une fois de plus. Il a préféré attendre que je découvre les choses par moi même avant de me les avouer, comme pour le gang Nord, comme pour les souterrains. Je lui accorde une confiance aveugle mais apparemment ce n'est pas réciproque, et ça me tue intérieurement.
Mes émotions prennent le dessus sur ma raison et je préfère partir avant d'exploser.
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Le Cercle
Teen FictionEnfermés dans une ville surréaliste, arrachés à leur lycée, coupés du monde et en proie à de nouvelles menaces, Ruby, Connor et leurs camarades sont contraints d'obéir au nouveau régime qui leur est imposé. Mais dans ce monde superficiel où personne...