Chapitre 32

271 46 9
                                    

   La tête ailleurs sur le chemin retour du Centre de Soins, je ne prête pas attention aux bruits de portes en tournant à mon étage, si bien que mon cœur fait un bond lorsque mon regard croise celui de Connor qui remonte le couloir en sens inverse, sans doute va-t-il travailler. Nos regards se croisent et je baisse les yeux la première.

Deux jours ont passé depuis le soir où je lui ai, et ce n'est absolument pas pour m'en vanter, quelque peu sauvé la vie. Je n'ai pas, ou alors je n'ai pas voulu, digérer sa remarque sur le fait qu'il n'ai pas besoin de moi. Je sais que ça peut paraître ridicule mais je ne parviens pas à oublier le pincement que j'ai ressenti à ce moment précis. En vérité, j'ai l'impression de le revivre chaque fois que je l'aperçois, et c'est ce qui garde ma déception à température depuis ces 48 heures où je l'ignore désespérément. Une partie de moi aimerait qu'il revienne, et c'est alors que je regrette mes paroles. Je sais que je l'ai blessé mais dans un sens, c'est ce que je cherchais.

Malgré moi je ne peux m'empêcher de mûrir l'idée que la présidente pourrait souhaiter ma mort. Plus les jours passent, plus j'en apprends sur ce système et plus je réalise la cruauté dont ils sont capables de faire preuve. Alors au fond, peut être que Mme Sunsiller pourrait vouloir la mort de quelqu'un, peut être même la mienne ou celle de Connor, mais je ne vois pas la raison évidente. J'ai tout fait pour leur montrer (ou plutôt leur faire croire) que je souhaitais me racheter, je me doute qu'ils ne sont pas totalement dupes et qu'ils continuent d'entretenir une certaine méfiance envers moi mais au point de vouloir en finir avec moi ? J'ai du mal à y croire.

J'ai donné rendez-vous aux filles dans l'Intervalle. Même si seules Gema et Sofia ont répondu à mon appel, je me réjouis de les voir. Je leur parle de l'hypothèse sur la présidente soit disant furieuse contre moi. Gema éclate d'un rire mesquin :

- Cette vieille folle n'a même pas réussi à te faire tuer devant le Cercle entier, je vois pas ce qu'elle peut tenter de plus. 

Sofia se joint à elle :

- D'ailleurs tu l'as tellement bien humiliée que c'est elle qui devrait avoir peur de toi maintenant.

- Justement.

Ma remarque les réduit illico au silence. Elles me regardent sans comprendre.

Mais oui. Sofia vient d'éclairer un point : j'ai échappé à ce qui devait être ma fin certaine. En vérité c'est à ça qu'elle m'a condamnée : à la mort. Seulement d'une façon plus déguisée, ou plus... plus spectaculaire !

C'est ça.

Quelque chose d'assez spectaculaire pour obliger tous les membres du Cercle à y assister.

Quelque chose d'assez choquant pour marquer les esprits de tous ceux qui pensaient tenter leur chance après moi. Je devais servir d'exemple.

Tous les éléments se relient au fil de ma pensée et à nouveau je songe à cette appellation qu'avait utilisé le présentateur télé pour la présidente. "Votre Majesté". Le Florilège qui veut élire une Princesse. Le Palais. Cette solution de dissuasion par la peur.

Mme Sunsiller n'est pas une présidente, personne ne l'a élue. C'est la Reine. Et, comme dans une monarchie où il n'y aurait pas de roi, c'est elle qui monopolise le pouvoir, elle qui décide de tout. Elle qui décide des sentences à infliger, dont la mienne. Elle qui lance des drônes à nos balcons pour nous espionner, elle qui voit et entend toutes nos conversations téléphoniques. Elle sait tout de nous (ou presque, me dis-je en souriant) et c'est elle qui a le contrôle de tout.

En échappant à ses plans j'ai dérogé à la règle, j'ai détruit l'espace d'un instant cette image de toute-puissante qu'elle s'efforce d'entretenir depuis le début. Je l'ai humiliée, c'est exactement pour ça qu'elle a toutes les raisons de m'en vouloir. Parce que dans une dictature, on ne tient pas tête à la dictatrice.

Le CercleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant