Chapitre 28

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   Les présélections pour le Florilège continuent, si bien qu'en deux jours nous sommes passées de 343 à 250 et je ne sais par quel miracle je parviens à me maintenir dans les 100 premières. Les classements sont désormais affichés sur la nouvelle chaîne d'information spécialement créée pour le Florilège. Ma participation m'autorise à moins travailler tout en maintenant la valeur de ma Lifecard car elle compte comme "activité au service du Cercle", ce qui est donc une excellente nouvelle.

Les épreuves du jour ne durent que l'après-midi et je ressors du Centre de Sélections en 68e position. L'épreuve de langues m'a permit de nettement remonter dans la liste, et je ne peux que m'en réjouir.

Je me dirige vers un bureau privé dans l'Intervalle où je suis supposée récupérer des dossiers pour le Florilège, on me prend en charge immédiatement et je me félicite d'avoir eu la présence d'esprit d'emmener une pochette dans mon sac pour ranger le tas de paperasses qu'on me confie. Je n'ai pas le temps de tout regarder mais je remarque, entre autres, mes points et classements par journée sur chaque épreuve ainsi que mon dossier complet et un certificat de participation. Je ne comprends pas bien pourquoi je dois garder tous ces papiers mais je le fais. Rentrer dans le moule. C'est tout ce que je peux faire pour l'instant si je veux avoir une chance d'en apprendre plus.

La patience est la seule arme dont je sois autorisée à user. Et c'est bien plus frustrant que ça en à l'air.

Perdue dans mes pensées, je fais d'abord abstraction du bruit autour du moi. Mais je finis par discerner des pleurs. Des pleurs étouffés. Le genre de larmes silencieuses qu'on ne peut empêcher de sortir malgré tous les efforts qu'on déploiera pour.

Je découvre une Inférieure, accroupie à l'angle de deux bâtiments immaculés. Elle lève ses yeux rougis vers moi, je l'interroge du regard et elle me dévoile ses mains couvertes de paillettes dorées. Je comprends instantanément. Les robots du Cercle sont faits de connections couleur or, Connor m'a appris que ce n'était pas juste par esthétique mais surtout parce que si quelqu'un s'en prend à eux, il sera aspergé de cette substance dont il est impossible de se débarrasser seul. Cela permet aux gardes de reconnaître les coupables assez rapidement.

Je la prends par le bras et la tire avec moi jusqu'à une meilleure cachette. Elle me reconnaît et m'offre un regard plein d'espoir, comme si elle voyait sa mère pour la dernière fois :

- Tu vas gagner, Ruby.

Je mets un temps à comprendre qu'elle parle du Florilège mais je n'ai pas le temps de la remercier pour son soutien car des voix graves - sans doute celles de gardes - nous font détourner l'attention. L'émotion dans le regard de ma nouvelle amie passe à la panique et elle me pousse avec ses coudes, prenant toutes les précautions du monde pour éviter à la moindre paillette de se coller à moi :

- Sauve toi, vite !

- Mais... et toi ?

- Je vais me débrouiller, je vais m'enfuir. Euh... (elle regarde autour d'elle) par là.

Elle pointe un doigt en or vers une bouche d'égout et me fais signe de partir. Je la regarde, incrédule mais je finis par rassembler mes esprits. Rentrer dans le moule, Ruby.

Je l'entends chuchoter dans mon dos tandis que je m'éloigne :

- Sauve nous tous.

Je m'arrête enfin de courir une fois que j'approche de la grille Alpha. Je ne peux m'empêcher de penser à cette fille dont je ne connais même pas le nom, avec un peu de chance elle pourrait atterrir dans un souterrain. Je prie de toutes mes forces pour que ce soit le cas.

L'endroit où je me trouve est désert, je n'ai pas le temps de m'en trouver surprise que mes réflexes reprennent le dessus et je fais un bond en arrière, les yeux écarquillés et fixés sur une bouche d'égout distante d'environ cinq mètres de moi. Un long cobra noir serpente vers moi, sortant des profondeurs par la même occasion. Je me fige. Il se rapproche encore et c'est alors que je note les paillettes d'or sur sa langue tandis qu'il siffle et me contourne pour tracer sa route vers le Sud. Mon cœur s'emballe, mes émotions m'envahissent et je porte les mains à ma bouche pour me retenir de crier. Je ravale mes larmes et, dans un accès d'amertume mélangé à ma colère et au choc, je cours à toute vitesse jusqu'à l'appartement.

Avec le temps, Connor est devenu capable de reconnaître le bruit de ma porte qui s'ouvre, il passe une main dans l'entrebâillement avant que je ne la referme. Je le fixe un instant. Il lit dans mon regard et sens mon mal être car il n'ose rien dire ni entrer de sa propre volonté. Je l'attire à l'intérieur par le poignet et lui explique ce qu'il vient de se passer. Il me regarde d'un air désolé et je me rends compte qu'il n'a pas décroché un seul mot depuis le début. Je penche la tête et lève un sourcil en plantant mon regard interrogateur dans ses yeux verts. Il soupire :

- Je m'inquiète pour toi.

- Quoi ? Mais pourquoi ?

Il baisse les yeux et soupire, ce qui ne fait qu'empirer mon angoisse.

- Le gang Nord. Je suis presque sûr qu'ils finiront par s'en prendre à toi.

Je scrute son visage comme pour y déchiffrer un brin d'espoir mais je me rends compte qu'il se fait sans doute plus de souci pour moi que je ne m'en fais pour moi-même. Alors je pose une main qui, je l'espère, se veut rassurante sur son bras :

- Si la présidente n'a pas réussi à en finir avec moi, ils ne le pourront pas non plus.

Je vois une fossette se creuser dans sa joue tandis qu'un sourire s'étire sur son visage :

- Surveillez vos chevilles Mlle Romero.

Je ris à mon tour et il s'en retourne vers chez lui.

La soirée vire à l'insomnie. Le sommeil refuse de se pointer alors je me décide à sortir. Il est vraiment très tard comparé à l'heure à laquelle je sors habituellement.

Je fais voile en direction des souterrains, et plus précisément en direction de la piscine. Je m'installe au bord de l'eau pour contempler ses reflets verts et laisser vaquer mon esprit.

Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, les pieds immergés, l'eau fraîche léchant mes mollets et les yeux fixés sur les ondulations de surface. Je m'enivre de l'odeur piquante du chlore et du clapotis de l'eau et des gouttes qui tombent du plafond. Dehors, je parviens à entendre l'orage éclater et je commence à imaginer la foudre s'abattre sur le champ de force, et s'il était possible de le détruire ? De le désactiver ?

Un bruit de pas me fais immédiatement revenir à la réalité. Par réflexe ou par peur, je ne saurai choisir, je me relève et me dissimule entre les piliers, là où l'obscurité est plus profonde.

Mon cerveau se met à tourner à pleine balle lorsque je distingue une silhouette athlétique pénétrer dans la pièce. Sa tignasse bouclée m'indique qu'il s'agit d'Aaron. Je m'apprête à sortir de ma cachette mais je me ravise lorsque je perçois enfin le gun qu'il serre dans sa main droite.

Ma respiration se saccade et je me plaque contre l'immense pilier blanc de l'angle.

Connor avait encore raison.

Il vient pour moi.

Le silence persiste.

Clic clac.

Il vient de recharger.

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