Elle marche, seule, dans les couloirs du lycée. Elle erre à travers la foule d'élèves. Le regard perdu droit devant elle, elle avance, sans jamais s'arrêter.
Elle affronte le regard des autres, comme elle se l'est promis le matin même. Elle tente de faire bonne figure, de tenir sa promesse.
"Aujourd'hui, je vais sourire. Aujourd'hui, je vais rire. Aujourd'hui, je vais vivre."
"Aujourd'hui, je ne vais pas baisser les yeux. Aujourd'hui, je vais garder la tête haute. Aujourd'hui, je vais les affronter."
"Aujourd'hui est un autre jour."
Pour le moment, elle gagne son pari. Elle sourit, elle garde le regard droit devant elle. Elle ne flanche pas, elle est forte.
On la regarde, comme tous les jours. Mais aujourd'hui est un jour nouveau. Elle les ignore. Elle les regarde droit dans les yeux, elle leur sourit sournoisement, à l'air de dire "vous ne m'atteindrez plus".
On la regarde de haut en bas. On la fixe, on la juge. Et alors ? Qu'ils l'observent donc si ça leur chante ! Elle s'en moque !
Elle continue d'avancer, un pied devant l'autre, mais un peu plus maladroitement. Or elle ne montre rien. Elle doit rester forte, ignorante.
Elle combat les regards, une boule à la gorge. Elle continue son chemin. Tout va bien, ce ne sont que de vulgaires regards haineux de gens hautains.
Puis les messes basses fusent. Les critiques sont de la partie. Ça y est ! Ils recommencent. Elle est leur bouc émissaire, leur souffre douleur.
"T'as vu ses cheveux ? Elle ne s'est pas ce que c'est qu'une brosse visiblement."
"Regarde comme elle est pâle. Elle est malade ? Elle en fait presque peur."
"Et ses yeux, oh mon dieu. Ils sont rouges, et elle a de gros cernes. C'est immonde."
"Et on en parle de ses formes ? Elle ne plairait à personne. Ce qu'elle est moche !"
"Mais regarde comme elle marche ! On dirait qu'elle a un balais dans le cul !"
"Elle fait pitié sérieusement !"
Elle entend tout ça. Elle sait bien que ce ne sont que des mots de personnes insignifiantes. Mais c'est trop pour elle. Tous les jours, ça arrive. Et elle n'en peut plus.
Elle finit par les croire. Elle finit par perdre son sourire. Elle finit par baisser les yeux. Elle finit par les fuir.
Elle entends leurs rires qui résonnent dans les couloirs. Elle ne sait pas vraiment si ils lui sont destinée, mais elle se le demande. Ça ne l'étonnerait pas.
Ses yeux se remplissent de larmes. Mais elle lutte. Elle doit se montrer forte. Elle ne doit pas pleurer. Elle se l'ait promis.
Pourtant elle échoue encore.
Aujourd'hui, rien n'a changé.
Aujourd'hui n'est pas différent des autres jours. Aujourd'hui ressemble à hier, et sûrement à demain. Ça ne s'arrête jamais : c'est jeu morbide, sans fin.
Aujourd'hui elle n'a toujours pas honoré sa promesse. Aujourd'hui est encore pire qu'hier. Que sera donc demain ?
Elle se posera davantage de questions. Pourquoi ça ne change pas ? Pourquoi se mettent-ils tous sur son dos ? Pourquoi rient-ils ? Pourquoi est-elle comme ça ? Pourquoi est-elle différente ? C'est quoi son problème ?
Elle voudra changer. Elle se haïra encore plus qu'aujourd'hui. Elle se trouvera davantage laide, sans importance. Les critiques s'empareront de son esprit. Elles la raméneront encore plus bas qu'elle ne l'est déjà. Son état va s'empirer.
Mais qui s'en préoccupe ? Qui cherche réellement à l'aider ? Qui lui donne l'amour dont elle a besoin ? Elle se le demande. Elle a l'impression d'être seule.
Elle aura envie que tout s'arrête. Et si ça continue, elle finira par tout vouloir stopper elle-même. En effet elle viendra à se demander si elle ne ferait pas mieux de partir. Elle n'en pourra plus, elle voudra en finir.
Parce qu'elle est "insignifiante".
Parce qu'elle est "bizarre".
Parce qu'elle est "invisible".
Parce qu'elle est au bord du précipice, et qu'elle n'est pas loin de tomber.
Demain ne sera pas différent d'aujourd'hui, elle le sait très bien. Mais tous les matins elle a un minime espoir. Elle prie pour qu'ils la laissent en paix. Elle prie pour que tout se passe bien. Mais rien ne change.
L'être humain est la pire espèce qu'il puisse exister. Il se regroupe avec les plus forts, puis attaque en meute le plus faible - qui n'a plus aucune chance. C'est plus facile d'attaquer que de se faire attribuer les coups.
Il ne voudrait aucunement se trouver à place. Mais il oublie que certain subisse à cause de lui, il oublie qu'il rend à bout, il oublie qu'il cause la perte de cet être fragile.
Et lorsqu'elle aura commis l'irréparable, ils se sentiront coupables. Ils diront qu'elle était une fille super, aimée de tous, qu'ils ne comprennent pas son acte. Ils diront qu'elle va leur manquer, que son absence créée un vide.
Mais aujourd'hui ils continuent, sans se rendre compte de quoi sera fait demain. Ils détruisent les autres, en quête de leur propre paix.
Aujourd'hui est un jour d'égoïsme pour eux, de peur et de douleur pour elle.
Et s'ils ne s'arrêtent pas, demain sera fait de pleurs et de regrets pour eux, mais de liberté pour elle.
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Textes
Sonstiges~Dans l'écriture, la main parle ; et dans la lecture, les yeux entendent les paroles~ Eugène Géruzez ~L'écriture est la peinture de la voix~ Voltaire ~Ce que tu devras écrire, tu le trouveras en toi. C'est comme un petit animal apeuré tapi dans un t...