22) Comme tous les soirs...

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Comme tous les soirs, elle rentre du lycée, les larmes aux yeux. Et comme tous les soirs, elle ignore sa mère et monte directement dans sa chambre. Elle se renferme, n'ayant pas la force de se confier, de lui raconter pourquoi elle s'isole. Elle préfère se taire, tout garder pour elle, parce qu'elle ne veut pas l'inquiéter, et peut-être par peur. Peur de ce qui arriverait ensuite. Peur que ça ne fasse qu'empirer les choses.

C'est pourquoi, tous les soirs, elle prend ce cahier, elle noircit les pages et écrit ses pensées, ses poèmes. Il est devenu son meilleur ami au fil du temps. C'est à lui qu'elle se confie. C'est à lui qu'elle raconte pourquoi elle ne va pas bien. C'est à lui qu'elle explique tout ce qu'ils lui font subir, parce qu'elle sait que lui ne la jugera pas, parce qu'elle sait qu'il ne fera rien, qu'il ne pourra pas lui causer du tort.

Contrairement à eux. Tous les jours c'est la même rengaine. Elle ne comprend pas pourquoi, mais certains élèves de sa classe ne cessent de se moquer d'elle. Elle est seule face à eux, puisque personne n'ose prendre sa défense. Dans la cour, ils l'entourent alors, ils la poussent, on lui tire les cheveux, on la coince... Elle se sent piégée, traquée comme une proie. Mais elle ne sait pas quoi faire. Que pourrait-elle faire toute seule ?

En cours, elle voudrait être invisible, se fondre dans la masse. Assise au premier rang, elle prend en note le cours, essayant d'ignorer les autres. Mais en vain. Une tape derrière la tête, des boules de papiers qui volent, des insultes qui fusent. Mais comme d'habitude, les professeurs ne voient rien. Alors elle ne dit rien, qui la croirait ? Puis ce n'est que pour rire, non ?

Toujours les mêmes insultes, et tous les jours leurs mots lui reviennent en tête. Quand elle se regarde dans la glace, elle ne se sent plus belle. Non, elle se sent comme la fille qu'ils décrivent. Elle est grosse. Elle est moche. Elle ne vaut rien. Elle n'ose même plus se regarder dans le miroir. Elle baisse les yeux face à son reflet, elle finit par y croire.

Comme tous les soirs, elle ne descend pas manger. A quoi bon ? Elle est déjà assez grosse, non ? Elle attrape sa guitare, joue des morceaux nostalgiques. Elle essaie de chanter, mais sa voix se bloque. Elle n'y arrive pas, sa gorge se noue. Et comme tous les soirs, les larmes dévalent sur ses joues. Elle pose son cahier, elle pose sa guitare, elle décide d'abandonner.

Elle s'allonge sur le lit, les pensées en vrac. Les souvenirs de ses journées reviennent la hanter, et elle ne peut pas penser à autre chose. Elle n'y arrive pas. Elle ferme les yeux un instant, mais les images apparaissent subitement. Elle rouvre les yeux, tandis que les gouttes d'eau coule sur ses joues. Elle sent son cœur battre vivement contre sa poitrine, elle essaie de ne pas faire de bruit, pour ne pas inquiéter sa mère.

Elle pense encore et encore, qu'a-t-elle fait pour mériter cela ? Que leur a-t-elle fait ? Pourquoi ils s'en prennent à elle ? Elle se demande alors si elle devra subir tous les jours ce maudit harcèlement, si tous les soirs se passeront ainsi. Cela dure depuis un mois, et elle sait que ce ne sera pas fini avant un moment. Comment échapper à tout ça ?

Mais ce soir, tout a changé. Elle rentre, le sourire aux lèvres. Aujourd'hui quelqu'un a osé prendre sa défense. Aujourd'hui quelqu'un veut être son ami. Aujourd'hui elle n'est plus seule. Et demain, elle pourra vivre. Demain elle sera heureuse, car ensemble ils pourront tout surmonter, et ensemble ils croqueront la vie en pleine dent. Parce que l'union fait la force.

Ce soir elle attrape son cahier, elle écrit ses pensées, ses poèmes. Mais cette fois, ce qu'elle raconte n'a rien avoir avec les sujets habituels. Ce soir, elle peut parler d'amitié, d'une once de joie, de liberté. Grâce à lui, elle pourra oublier son calvaire. Grâce à lui tout pourra s'arranger. Elle y croit, elle n'abandonnera pas cette fois. Elle obtiendra le plus beau des trésors : le bonheur.

Aujourd'hui, elle a du courage. Et malgré le stress et la peur, ce soir elle montera sur scène. Elle attrapera sa guitare, se mettra à chanter ses poèmes. Elle montrera aux gens qui elle est vraiment, elle prouvera qu'elle n'est pas celle qu'ils ont pu décrire. Et surtout elle lui dira merci, merci de l'avoir sauvée. Ce soir, devant la glace elle voit une fille heureuse, au doux sourire. Elle n'est pas grosse. Elle est belle. Elle peut être fière d'elle, parce qu'elle vaut quelque chose.

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