6 octobre : coude

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Il était contorsionniste.

    Quand il était tout petit, ses parents avaient été horrifiés de découvrir jusqu’où ses coudes pouvaient se plier. Ils avaient tenté des techniques pour qu’il devienne normal. Ils lui avaient formellement interdit de plier son bras au delà du raisonnable. Surtout en public. Ils le battaient, dès qu’il ne faisait pas ce qu’ils voulaient.

    Le petit garçon aurait dû être fier de ce qu’il était. Une sorte de miracle.

    Mais son éducation a fait de lui l’ombre d’un homme. Il avait tellement honte de ce qu’il était.

    Un monstre ? Une erreur ? Toutes ces insultes pour un coude.

    Il se sentait tellement minable.

    Un jour, il décida de fuguer. De partir loin, très loin de ceux qui l’avaient élevé, de ceux qui se faisaient appeler ses “parents”. Il ne serait pas une grande perte. C’était mieux pour tout le monde. Pour lui. Mais surtout pour eux. Ils n’auraient plus jamais à avoir honte de lui.

    Il alla là où le vent le portait. De ville en ville, de refuge en refuge.

    Un jour, dans une gare où il avait dormi, il rencontra un homme. Cet homme l’avait vu plier son coude. Quand le jeune homme le vit s’approcher, il prit peur. Que lui voulait-il ? Cette peur était légitime. Mais l’homme lui tendit la main.

    — Tu es seul ?

    Le garçon hocha la tête.

    — Tu as quelque part où aller ?

    Il secoua la tête.

    — Raconte moi ton histoire.

    Il lui raconta tout, depuis sa naissance, depuis les insultes, depuis les coups. L’homme lui proposa de venir avec lui, il lui fit miroiter une vie meilleure, une vie où il n’aurait pas besoin d’avoir honte.

    — Je dirige un cirque. Tu pourrais briller, être enfin heureux. Veux-tu venir avec moi ?

    Le jeune homme accepta. Bientôt, il se retrouva dans une troupe, parmi des gens qui l’acceptaient. Il rencontra une femme un peu plus vieille que lui, qui était équilibriste.

    — On m’a toujours dit que j’étais trop grande pour ce monde, que ce n’était pas normal d’avoir un taille plus grande. Regarde moi, je suis heureuse maintenant ici, j’ai une famille qui m’accepte. Sois heureux toi aussi, tu le mérites.

    Il essaya. Il ne réussit pas. C’était trop dur. Trop dur de garder le sourire, alors qu’il était lui même persuadé de ne pas avoir sa place dans ce monde. C’était trop profondément ancré en lui, et rien n’y changerait.

    Les années passèrent, et avec elles les spectacles.

    Un jour, il eut le malheur de demander une augmentation au propriétaire du cirque. Et les ennuis recommencèrent.

    — Si tu n’es pas capable d’être reconnaissant pour tout ce que j’ai fait pour toi, tu peux partir. Tu n’es rien pour moi, rien pour nous. Nous t’offrons un toit, de la nourriture, des vêtements, un travail, de la protection, et regarde comment tu nous remercies.  

    La claque résonna dans tout l’être du contorsionniste.

    Depuis ce jour, le propriétaire fit de sa vie un enfer. Des rations réduites aux repas, des artistes montés contre lui, la solitude, à nouveau.

    Le contorsionniste mit fin à sa vie, il ne pouvait plus se regarder dans un miroir, tout était sa faute.

Ce texte est super différent des autres mais vu que j'ai déjà fait le mot cou il y a quelques jours j'avais plus envie de faire un truc différent

WRITOBER 2018Où les histoires vivent. Découvrez maintenant