28 octobre : collectionneur

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Certains collectionnaient les timbres. Ou les figurines à l’effigie de lapins. Ou encore les coquillages. Certaines collectionnaient même les amants. Certains collectionnaient les coups d’un soir.

    Lui ? Il collectionnait les âmes.

    Un jour, une de ses amies vint le voir.

    — Il faut que je te parle.

    — Dis moi tout.

    — Je suis amoureuse.

    — Et bien ?

    — Mais on m’a brisé le coeur. La personne dont je suis amoureuse m’a récemment annoncé qu’elle allait se marier.

    Le collectionneur compatit. Les déceptions amoureuses… C’était vraiment l’une des pires choses au monde. Mais il savait que heureusement pour son amie, ça finirait par passer, elle finirait par oublier. Mais pas lui.

    Il avait souvent été triste dans la vie, pour des raisons diverses et variées. Mais il ne voulait pas continuer à se focaliser sur son malheur, se lamenter. Il voulait voir le bon côté des choses, c’était un optimiste. C’est comme ça qu’il commença sa collection. Il voulait savoir qu’il n’y avait pas que lui qui souffrait. Et surtout, il voulait savoir qu’il avait été utile à quelqu’un, en le réconfortant.

    Il écrivait les histoires des gens, tout ce qu’on lui confiait sur des morceaux de papier. Il les enroulait et les scellait avec une ficelle ou un ruban. Parfois, quand il n’avait rien sous la main, il pliait simplement le papier en quatre. Et il glissait ses histoires dans des bocaux. Il en avait plusieurs désormais, alignés sur son étagères. Ils contenaient les secrets de ses amis, les déceptions d’inconnus.

    Mais un jour, un terrible incendie se déclara dans sa maison. Il appela les pompiers et se mit en sécurité. Puis il se souvint. Ses bocaux, ses papiers, ses histoires. Il ne voulait pas les retrouver calcinés, il ne voulait pas qu’ils disparaissent. Il était la mémoire des gens qui s’étaient confiés à lui. Il était le gardien de leurs âmes. Il n’avait pas le droit de les abandonner.

    Les pompiers étaient déjà là, ils oeuvraient pour éteindre l’incendie. Ils lui avaient posé des questions. Non, il ne savait pas comment le feu s’était déclaré. Non, il n’avait pas respiré trop de fumée. Oui, il allait bien.

    Il voulait retourner à l’intérieur pour sauver sa collection. Mais il savait que les pompiers ne le laisseraient jamais faire. Jamais ils ne laisseraient un homme sain et sauf retourner braver le danger.

    Alors il attendit un moment d'inattention pour se faufiler dans son jardin. Il dévérouilla la porte de service derrière sa maison et retourna à l’intérieur. Il faisait noir, il y avait beaucoup de fumée.

    Dehors, les pompiers se rendirent compte de son absence et se jetèrent dans les flammes pour le retrouver.

    Il lui restait très peu de temps. Il monta dans sa chambre et attrapa ses bocaux. Il n’avait pas assez de mains pour tous les porter. Il avait le choix : soit il faisait deux voyages, soit il les laissaient là. Il commença à se résigner, conscient qu’il serait trop dangereux pour lui de faire deux allers-retours.

    Il avait chaud, vraiment chaud, et la fumée commençait à brûler ses poumons.

    Il aperçut un sac à quelques mètres de lui. Alors il jeta ses bocaux dedans et retourna se mettre à l’abri. Quand les pompiers le virent, ils appelèrent leur collègues pour qu’ils arrêtent de le chercher.

    Le collectionneur avait réussi à sauver sa collection.

WRITOBER 2018Où les histoires vivent. Découvrez maintenant