M'sieur

56 6 0
                                    

J'veux pas vous parler M'sieur. Ça fait trop mal quand ça prend vrai, les tristesses. N'insistez pas ! Comme si ça pouvait faire disparaître mes tâches : ça s'efface pas, ça partira jamais. C'trop tenace voyez, c'est accroché à ma peau, ça transpire à travers mes pores ; c'est foutu M'sieur, c'est d'jà foutu. Ça passera jamais, c'est immortel. Parler ? Et alors, ça fait quoi ? J'ai eu ma dose, reste que le manque – faut me sevrer M'sieur, et ça j'sais pas si vous le pouvez. Y'a plus rien à sauver, pas même les apparences, j'm'enlaidis, je crève et j'm'en tape.

Voudriez savoir la première chose qui m'passe par la tête, c'est ça ? Là, comme ça ? J'dirais lui. Non, j'vous donnerai pas son nom, il s'appellera Lui, c'est bien suffisant. Le nommer, c'est le faire exister, et il a choisi de disparaître : je dois respecter ça. Il a aussi voulu que j'disparaisse, moi : il m'a remplacé – eh non, c'était pas si dur !, et pourtant j'me serais damné pour lui. J'vous jure, j'échangerais le restant de mes jours contre une dernière seconde dans ses bras... Ah, on s'est rencontré un jeudi ! Il était tard, nous étions soûls. Croyez au coup de foudre ? C'est naïf, mais c'est vrai : on l'a reçu en pleine face, ce soir-là... Quoi d'autre ?

Hmm... J'adorais ses étreintes ! Timides, subtiles mais rassurantes, tellement rassurantes... Je revois la dernière, blotti dans ses bras pour lui dire au revoir, parce qu'on était arrivé au bout du chemin qu'on n'aurait jamais pu parcourir ; c'était beau, c'était sublime M'sieur, mais c'était impossible. Pourtant, avec Lui, j'aimais tout, tout ce qui pouvait exister :

j'aimais ses dents – c't'important ça ?, ses p'tites canines fines et pointues, sur son sourire ça f'sait ange malicieux, avec ses lèvres délicates qui demandaient qu'à être embrassées jusqu'au bout du souffle... Oh ! et ses yeux, si vous voulez savoir ! Ils étaient affinés, rieurs, souriants, tendres et attendrissants aussi. J'mettais mes larmes dedans, pasque ça les faisait briller. Pis j'aimais quand il les fermait pour m'embrasser, s'allonger contre moi et dormir dans mes bras, ou pour photographier un p'tit moment, l'enfermer dans sa mémoire comme si, au fond, ça avait valu quelque-chose.

J'aimais sa peau, elle était délicate. C'était un peu comme d'la soie, ou plus doux encore. J'pouvais passer des heures à la caresser, en silence, en respirant son parfum. Putain, c'qu'il sentait bon aussi ! J'pourrais vous énumérer chacun de ses grains de beauté ; et si j'savais dessiner, je pourrais même vous les montrer. Plus je le regardais, et plus je l'aimais vous savez...

Lui faire l'Amour, c'était quelque-chose aussi ! C'était parfait. Y'a pas d'autre mot M'sieur : l'extase, mais surtout le Bonheur - à l'état pur ! Mieux qu'tout, j'vous l'dis ! L'avoir au ventre c'était comme atténuer cette douleur de l'aimer. Parce que ça faisait mal, ça m'bouffait l'estomac de l'aimer autant – ça m'rongeait à chaque seconde. C'était viscéral.

J'vous l'dis, puisque vous voulez savoir : ses yeux mi-clos, quand il jouissait il les plissait doucement dans un p'tit râle, et je fermais mes doigts sur la peau d'son dos ou ses épaules – souvent ses omoplates, pour être sûr que j'le tenais bien, entièrement à moi. Ses lèvres arrivaient à peine à effleurer les miennes tant il tremblait, ses mains s'fermaient n'importe où sur ma peau : c'était ça, s'aimer. C'était ça, faire l'Amour. C'était l'aimer, c'était le faire aimer, c'était être à ses phalanges ce qu'aucune merveille n'aurait pu être à ma place à c'moment-là : c'était unique. C'était magique. C'était lui, c'était moi.

FoliesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant